Le design japonais : la pureté et l'élégance

Le Japon aurait-il inventé le design contemplatif ? Au pays du Soleil levant, le beau rencontre l’utile. Des lignes épurées, élégantes, incitent à la méditation. Car avant d’utiliser un objet, on le contemple pour apprécier son usage et la joie de s’en servir.

PAR AGNÈS ZAMBONI. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Depuis longtemps, les designers nippons illustrent parfaitement la définition du design où la forme doit rencontrer la fonction sans apport décoratif, inutile et superflu. Une règle de base pour créer un objet beau et utile : la sensibilité (kansei) qui correspond à la finesse et se rapporte à la nature. Elle s’exprime aussi dans le choix des matériaux, le sens aigu des couleurs et du détail. En bref, l’objet design doit émouvoir le consommateur à sa vue et à son toucher. L’harmonie (wa), dans une conception traditionnelle, consiste à concilier des notions en apparence contradictoires. Et l’influence de l’artisanat est importante même dans la production industrielle.

Tradition en évolution

À partir des années 1950, dans les ateliers d’artisans qui fabriquent des objets à la modernité intemporelle et millénaire, le design japonais s’est enrichi de la culture scandinave et italienne. À cette époque, les formes organiques étaient à l’honneur et admirablement illustrées par le travail d’Isamu Noguchi qui, pendant 25 ans, a offert une vision moderne de l’art asiatique traditionnel en développant les concepts de constructivisme et biomorphisme. Ce sculpteur, qui a travaillé dans l’atelier de Brancusi et côtoyé Alberto Giacometti, a aussi décliné une collection de luminaires réalisés à la main avec un papier fabriqué artisanalement à l’aide de l’écorce interne du mûrier, entre 1951 et 1986. Le papier, collé sur une armature flexible en lamelles de bambou, confère aux créations leur allure légère et délicate.

Aujourd’hui, leur beauté intemporelle fait toujours vivre l’atelier nippon de la ville de Gifu où elles ont vu le jour.

Une autre idée du design

Dès 1960, d’autres personnalités nipponnes se font remarquer en entrant de façon magistrale sur la scène du design occidental. Parmi elles, le designer Shiro Kuramata qui ouvre les portes de son univers flottant et vibrant, se jouant de l’immatérialité. Ses créations confidentielles et expérimentales révèlent une autre idée du design. Chaise tout en verre ou chiffonnier aux lignes ondoyantes à 18 tiroirs, elles ne seront produites qu’en éditions limitées mais explorent de nouveaux territoires où le designer repousse les limites des matériaux. Son esprit poétique et raffiné plutôt que contestataire a néanmoins flirté avec le mouvement postmoderniste Memphis qui remettait en cause les classiques bourgeois du mobilier. D’autres designers comme Masanori Umeda, seront aussi influencés par le mouvement Memphis.

Aujourd’hui, le jeu se calme avec le retour à des valeurs sûres et la neutralité revient sur le devant de la scène, comme le témoignent les créations minimalistes de la marque Muji dont Naoto Fukasawa a longtemps dirigé le département design. Fabriqués artisanalement ou industriellement, les objets ont cependant la même fonction : participer à une forme de convivialité et partager des interactions humaines en créant une parenthèse dans leur vie. En effet, replacer le design au cœur de l’humain est la mission des créateurs japonais.

Un nouveau chef de file : Nendo

Derrière le nom de Studio Nendo se cache un collectif de designers sous la conduite d’Oki Sato. Né en 1977 à Toronto au Canada, il étudie l’architecture au Japon puis ouvre un studio à Tokyo en 2002, et ensuite, une autre agence à Milan. Chargé d’un énorme potentiel poétique, son travail fait la synthèse du passé et du présent. Il s’inspire de l’épure japonaise pour créer une grammaire ancrée dans son époque, teintée d’humour et de convivialité.

Au-delà de leur aspect intellectuel, la force des créations de Nendo surgit de leur capacité à enchanter nos maisons. Leurs formes jouent à cache-cache avec la lumière et les ombres, cultivent les décalages, jouent les effets d’optique, nous interrogent sur la fonction de designer qui doit réinventer l’objet. Elles se démarquent par leur dessin simple, leurs lignes essentielles, la sobriété des matériaux qui sert la forme toujours légère et éthérée. Leurs lignes disparaissent derrière leur fonction ou apparaissent, pousimplement être de simples contours et mieux répondre à leur usage.

Les objets de Nendo questionnent celui-ci à travers des structures basiques et élémentaires, offrant de nouveaux services avec des surprises, des sortes de clins d’œil au quotidien et des effets visuels. Car vivre avec un objet c’est aussi le regarder et apprécier sa façon de remplir l’espace.

En occident

Shinichiro Ogata, autre architecte et designer en vogue, vient d’ouvrir un nouvel espace à Paris, dans le quartier du Marais. Son travail, profondément ancré dans la culture japonaise traditionnelle, s’inspire aussi de l’Occident. On ressent sa présence diffuse et une ouverture dans ses créations. Il a baptisé son studio Creation Simplicity, où il prône le respect du savoir-faire artisanal tout en l’adaptant à une certaine idée de modernité.

Il ne faut pas oublier que l’esthétique du pays du Soleil levant a influencé l’une des plus grandes designers françaises du XXe siècle, Charlotte Perriand. Elle y a découvert l’usage moderne de matériaux naturel, bois, bambou, céramique, qui changent des tubes d’acier prônés par le Bauhaus. Dès 1940, lors de son premier voyage, elle s’émerveille des bottes de paille utilisées pour tresser les tapis ou d’une cape de pluie en paille de riz portée par les paysans.

Faut-il voir dans la nouvelle chaise Matrix de Tokujin Yoshioka, éditée cette année chez le fabricant italien Kartell, une réminiscence du fauteuil en résille métallique vibrante How High the Moon de Shiro Kuramata ? Mais ce qui caractérise le design japonais d’aujourd’hui, ce sont ses collaborations avec les éditeurs occidentaux. Les échanges n’ont jamais été aussi fertiles et nombreux. Des couples de créateurs se forment pour offrir une sensibilité d’une modernité exemplaire : le couple A + A Cooren Design Studio, formé par la japonaise Aki et le français Arnaud, qui a étudié à Saint-Luc Tournai puis à La Cambre de Bruxelles, témoigne de cet esprit de mixité qui allie l’esthétique minimale et simple du design saupoudrée de références subtiles à la nature.

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