Louis Vuitton : De fils de meunier à empereur du luxe

Dans leurs ateliers d’Asnières, toujours en activité, ce petit Jurassien et ses descendants ont fondé une marque devenue mondiale grâce à un peu de flair, d’inventivité et de savoir-faire. Visite.

Par ingrid otto. Photos : © ARCHIVES LOUIS VUITTON - JULIEN OPPENHEIM / LOUIS VUITTON MALLETIER - LOUIS VUITTON / GRÉGOIRE VIEILLE. |

Là, tout n’est qu’ordre et beauté ; luxe, calme et volupté. Ou quand les vers de Baudelaire riment avec Asnières, petite ville située sur la rive gauche de la Seine, en banlieue parisienne. C’est là, dans une rue tranquille, que se nichent, au cœur d’un écrin de verdure, la maison familiale et l’atelier Louis Vuitton. Ouvert en 1859, il occupe alors une vingtaine d’employés ; ceux-ci ont suivi leur patron lorsque, ses affaires allant bon train, l’homme a dû songer à s’agrandir et à quitter sa première boutique de la rue des Capucines, non loin de la place Vendôme. 

À Asnières-sur-Seine, le chef d’entreprise peut en effet profiter de la proximité du fleuve pour le transport du bois de peuplier servant à fabriquer ses malles, et de la gare Saint-Lazare pour les envoyer à travers la France. 

Avec son épouse, Louis fait également construire une maison familiale jouxtant les ateliers. Aujourd’hui, la demeure est devenue musée-galerie – le musée Louis Vuitton, dans une rue rebaptisée du même nom – tandis que les ateliers n’ont jamais quitté leur fonction première. Mais ce sont désormais quelque 200 artisans qui l’occupent, mettant leurs doigts habiles au service de la griffe devenue leader mondial du luxe.

Leur travail quotidien ? La confection de commandes spéciales – quasiment une par jour –, sacs de défilé créés dans des cuirs rares ou exotiques (porosus, alligator, raie galuchat…), prototypes et, bien sûr, des malles, au cœur de l’histoire de la Maison.

Car avant de devenir ce fondateur d’empire, Louis Vuitton a parcouru un sacré chemin… au propre comme au figuré. Ce fils de meunier n’a que 15 ans lorsqu’en 1837, il décide de quitter Anchay, dans le Jura, son village natal, direction Paris où il veut tenter sa chance. Pour rejoindre la capitale, le jeune homme parcourt pas moins de 400 km à pied. Louis sait bien manier les outils : son père, menuisier en plus d’être meunier, le lui a appris dès son plus jeune âge. Un art qui lui permet d’entrer comme apprenti chez un “layetier-emballeur-malletier”. 

Emballeur d’Eugénie

Son métier consiste à fabriquer des coffres de voyage pour des clients aisés, et à y emballer leurs effets personnels – notamment les crinolines de ces dames. Devenu l’emballeur favori de l’impératrice Eugénie, Louis Vuitton commence à se faire un nom. Il a ses entrées aux Tuileries et, en 1854, ouvre son premier magasin comme emballeur, au n° 4 de la rue des Capucines. Mais à cette époque, Paris compte les malletiers par dizaines. Il faut donc montrer qu’on existe. Louis, en quête perpétuelle de créativité, fait le choix du produit fonctionnel et de grande qualité. Ce qu’il souhaite avant tout, c’est rendre la vie plus facile à ses clients. Dans ce siècle en effervescence, on commence à voyager.

En bateau à vapeur, en train. On a désormais la possibilité d’entreprendre de longs voyages, plus rapides, plus sûrs. On peut désormais emmener ses bagages et, pour pouvoir les empiler plus facilement, on a besoin de malles plates. Louis se met donc à en fabriquer. Adieu les couvercles bombés à l’ancienne.

À l’époque, les produits Vuitton sont déjà novateurs, de meilleure qualité, plus efficaces. Ses malles de première génération sont grises, le gris Trianon ; elles doivent se différencier des autres. Outre cette couleur, signature de la marque, Louis offre à ses clients la possibilité de personnaliser ses créations : un châssis à trois ou quatre niveaux pour protéger les effets du fond, un malletage avec rubans pour fixer les chapeaux, ou même une malle-lit pensée et conçue pour l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, le fondateur de Brazzaville, qu’il a utilisée pour atteindre le fleuve Congo.

Les pièces Vuitton deviennent de plus en plus sophistiquées. Grises, rayures rouges, rayures beige-marron, protections en cuivre, en laiton : elles acquièrent une telle élégance qu’elles sont vite copiées. En 1888, pour lutter contre la contrefaçon, Louis Vuitton invente la toile à damier beige et brun portant l’inscription “Marque Louis Vuitton déposée”. C’est la première fois que le nom apparaît à l’extérieur d’un produit manufacturé.

En 1892, Louis Vuitton rend son dernier souffle. Quatre ans plus tard, son fils Georges qui a repris les rênes de l’entreprise familiale, crée la toile Monogram, désormais emblème de la société. Révolutionnaire, elle est de couleur grise – toujours le fameux gris Trianon –, enduite, imperméable et assez résistante pour remplacer le cuir.

Arrêter le temps

Ensuite, les générations Vuitton se succèdent, chacune apportant son empreinte, ses idées, ses innovations et donc ses lettres de noblesse à la marque, qui conquiert la planète. En 1977, Odile Vuitton, arrière-petite-fille du fondateur, et son mari Henri Racamier, président de la société, la transforment en multinationale. Dix ans plus tard, celle-ci fusionne avec Moët Hennessy pour former LVMH, premier groupe de luxe du monde. Aujourd’hui encore, un Vuitton occupe la Maison : Patrick-Louis, arrière-arrière-petit-fils du fondateur, chargé des commandes spéciales de la marque. Pourtant, à Asnières, on est à mille lieues de cet univers à la Wall Street. Ici, dans ce salon qui a gardé sa décoration d’inspiration Art Nouveau, l’atmosphère est cosy, chaleureuse, sereine. Le temps semble s’être arrêté.

Les vitraux peints sont datés et signés, nous explique Thierry de Longevialle, directeur du musée et de la maison de famille. Le style 1900 a été conservé. Globalement, le décor et les peintures sont respectés, on les retrouve dans les photos qu’on a encore, qui datent des années 50. Avec son feu ouvert, son billard, sa réception, cette maison est un lieu de vie. Certes, la famille Vuitton n’occupe plus les lieux depuis les années 80, mais l’espace est effectivement aménagé pour recevoir le public.

Les clients, la presse ou ceux qui viennent se former pour travailler, chacun peut prendre ici toute la dimension de la marque, ancrée dans la tradition et un savoir-faire original. Un savoir-faire dont nous avons pu nous rendre compte en découvrant les ateliers, où presque rien n’a bougé, explique notre guide. La visite de ce long bâtiment en “L”, tout en verre et métal, débute par la menuiserie, première étape de fabrication des commandes spéciales malles. On a gardé le même processus de fabrication qu’en 1880, et les gestes des artisans sont identiques. Seules les conditions de travail on été améliorées ; on a installé des machines à coudre, des scies électriques, des lasers. Une évolution normale. Mais toutes les finitions se font toujours à la main. 

Le secret des gorges

Nous traversons ensuite les ateliers de préparation, stock où les bois et cuirs sont entreposés et découpés pour l’assemblage. Puis la serrurerie, qui fabrique les mêmes pièces que celles inventées par Georges Vuitton : des serrures à plusieurs gorges (cinq à l’époque, sept aujourd’hui), numérotées et réputées inviolables – pour l’anecdote, Houdini avait été mis au défi d’en venir à bout, il aurait décliné la proposition. À l’étage, la guide nous désigne les nouvelles machines de découpe des cuirs. Elles permettent de réduire les déchets, la fatigue de l’artisan et d’optimiser son travail ; il peut ainsi inspecter le cuir, le lire et couper les pièces aux bons endroits. 

Les parties nobles serviront à la confection du corps du sac, les plus imparfaites (ridées, griffées, piquées par les moustiques…) seront placées à l’intérieur. La dernière étape du processus de fabrication est le montage des sacs, pour lequel les malletiers s’affairent, dans une ambiance assez bon enfant, à gainer les structures, cadrer la toile en respectant au maximum la symétrie des motifs ; à fixer les lozines, ces bandes qui protégeant les arêtes des bagages, en enfonçant les petits clous de laiton ; à peindre au pinceau. 

La peinture à la main est importante pour les détails, c’est par exemple la peinture de tranche qui finit les bordures. Ce jour-là, les artisans peaufinaient la réalisation d’écrins pour les trophées homme et femme du tournoi de Roland-Garros ; c’est aussi Vuitton qui construit les petites malles destinées au transport des Coupes du monde de football, de rugby et de l’America’s Cup. L’aventure Vuitton se termine pour nous par la visite du musée, une galerie où sont exposées quelque 400 pièces sélectionnées parmi 160 000 documents et 26 000 objets exhumés des archives et collections privées, relatant les 150 ans d’histoire de la maison. 

Des malles et des sacs bien sûr, mais aussi des bons de commande, des photographies, des vêtements – comme un fourreau Lanvin de 1925 –, des chaussures, une carte de vœux  du Duc et de la Duchesse de Windsor… Autant de pièces emblématiques somptueusement mises en scène autour du thème du voyage par l’architecte australienne Judith Clark, mais qui racontent toutes à leur manière à peu près la même histoire : celle d’un petit Jurassien qui a marché 400 km pour se construire un empire! 

Habituellement accessible uniquement sur invitation, la Galerie ouvre exceptionnellement ses portes au public sur réservation chaque week-end jusqu’au 12 novembre. 

http://fr.louisvuitton.com.