Pourquoi adopter le slow tricot?

Manger local, boire local, s’habiller local... Si cette approche est désormais (re)connue, elle nous invite à poser un regard neuf sur le vêtement le plus incontournable du vestiaire hivernal.

PAR MARIE HONNAY. PHOTO D.R |

Suzanne Hosmans a grandi au Canada. Mais c’est à Liège, avec sa grand-mère, qu’elle a découvert le tricot. Passion précoce. Pendant plusieurs décennies, elle ne touche toutefois plus une aiguille. La folie consumériste et l’arrivée des enseignes fast-fashion dans les années 90 et 2000 ne favorisent de toute façon pas vraiment la mode éthique et artisanale.

Il y a une poignée d’années, installée dans la Cité Ardente, Suzanne Hosmans décide de s’adonner à nouveau aux joies du jacquard, du comptage de rangs et des mailles à l’envers. "C’est à ce moment que je me suis souvenue que ma grand-mère était obsédée par la qualité de la laine. “À quoi bon passer du temps à tricoter un pull si le toucher sur la peau n’est pas agréable ou si on doit le jeter au bout d’une saison ?”, me rappelait-elle souvent."

La filière de la laine

Suzanne Hosmans décide alors de profiter de ses fréquents déplacements à l’étranger (elle travaille dans la finance) pour se mettre en quête de laines de qualité. "À Liège, je n’ai rien trouvé. Dans le reste de la Belgique non plus. Il faut savoir qu’il n’existe plus aucune filature dans notre pays. Quant aux bonneteries, elles ont toutes disparu, à l’exception d’une seule, située à Courtrai. Hormis quelques créateurs de renommée internationale, Dries Van Noten et Paul Smith notamment, qui capitalisent encore sur ce savoir-faire unique, le désintérêt du public pour ce type de produits a tué le métier. Or, ce travail – qui s’apparente à de la Haute Couture – permet de réaliser, à la machine, maille par maille, des effets impossibles à obtenir manuellement."

Dans sa quête de laine authentique, éthique et traçable, Suzanne Hosmans trouve, à force de recherche, de petites perles en Angleterre, aux Pays-Bas et en Italie. Trois pays qui continuent à perpétuer une tradition en voie d’extinction.

C’est d’ailleurs en Italie que, chaque année, se déroule Filo, la foire internationale de la laine. Là où tous les acteurs de la mode – des marques de luxe aux géants de la fast-fashion – se fournissent. L’occasion de se rendre compte, au détour d’une allée, que certaines griffes haut de gamme misent sur des matières premières dont la qualité ne cadre pas vraiment avec le positionnement prix du produit fini.

Remonter la filière

Suzanne Hosmans n’est toutefois pas une militante. Juste une passionnée qui, à l’instar du réseau international Atelier Laines d’Europe, a choisi de remonter la filière pour mieux comprendre comment cette matière noble, produite à l’origine localement, est devenue un produit global, difficilement traçable et synonyme de big business.

Le principal objectif de l’association est de fédérer les éleveurs, tondeurs, filateurs, tisserands et tricoteurs, de manière à créer de nouvelles synergies, diminuer les intermédiaires et proposer la laine à des prix justes et transparents.

Coordinatrice de l’association et responsable des échanges européens entre acteurs du secteur, Marie-Thérèse Chaupin, a remarqué un changement lent, mais manifeste des mentalités : "Il y a 30 ans, lorsque nous avons fondé l’association, le secteur n’était absolument pas considéré. Aujourd’hui, c’est différent. Les gens s’intéressent à nouveau à la manière dont sont fabriqués leurs vêtements.Il ne faut toutefois pas crier victoire trop vite. 60 % des fibres utilisées pour la fabrication des pulls vendus dans le commerce sont synthétiques. Les géants du textile boudent les fibres naturelles pour des raisons évidentes de rentabilité. Car qui dit laine de qualité, dit volume de production limité. Une fibre naturelle dépend des cycles de culture ou d’élevage."

Dans un monde où l’on produit 300 fois plus de vêtements que ce dont les habitants de la planète ont besoin, cette nouvelle approche antigaspillage prend forcément tout son sens.

Suzanne Hosmans : "Dans mon showroom/ boutique, je vends de la laine à ceux qui veulent tricoter en mode raisonné, je donne des ateliers d’initiation ou de perfectionnement et je propose aussi à ceux qui le souhaitent de se faire réaliser des pulls dans une matière de qualité. Aujourd’hui, les boutiques qui prétendent vendre des pulls faits main sont légion. Or, par expérience, je sais à quel point il est difficile de trouver des tricoteuses encore en activité. Il reste donc beaucoup de flou dans ce secteur."

Le juste prix

Du flou, il y en a aussi du côté de certaines laines très prisées, comme le cachemire. "Lorsqu’un pull en cachemire est vendu au prix d’un pull synthétique, il s’agit soit de déchets de laine, soit d’un mélange. Il est également essentiel d’expliquer aux gens ce qu’est, par exemple, une laine peignée et pourquoi un pull de cette qualité est forcément plus cher qu’un autre. Si vous ne leur dites pas que sur une toison de mouton, on perd 50 % de la laine lors de la transformation, puis un autre 50 % dans le cadre d’une laine peignée (une laine passée au travers de fins peignes pour éliminer les fibres les plus courtes et les impuretés laissées par le cardage, ndlr), mais qu’à ce prix, leur pull ne boulochera pas et restera impeccable pendant de longues années, pourquoi les consommateurs se tourneraient-ils vers ce type de produit ?"

Suzanne Hosmans rappelle aussi que, contrairement aux laines industrielles traitées (pour paraître plus douces, notamment), "les fibres naturelles n’ont pas besoin d’être lavées constamment. C’est une matière écologique qui, en bonus, ne s’altère pas avec le temps."

Pour Marie-Thérèse Chaupin, ce qui freine certains consommateurs, c’est aussi la méconnaissance des modes de production des vêtements : "Si vous ne savez pas qu’il faut dix intervenants au minimum pour créer un pull à partir d’un pelage de mouton, le prix que vous voyez sur l’étiquette ne vous paraîtra pas justifié. En boutique, les étiquettes des vêtements sont en outre loin d’être claires. Le made in..., on le sait, ne veut plus rien dire. Notre association encourage donc la création d’étiquettes qui spécifient avec précision de quelle matière il s’agit, qui sont les éleveurs, les créateurs, etc."

L'exemple belge

Si Suzanne Hosmans peut vous parler avec passion de ses laines 100 % cachemire ou 100 % alpaca issues de filatures italiennes de tradition (fournisseurs de grandes marques), de ses fils japonais d’une extrême finesse ou d’une laine mérinos importée d’Uruguay par Manos, une organisation de réinsertion d’ouvrières en milieu rural, elle a un petit faible pour son bébé : une laine baptisée Wool & Vous – du nom de son projet – réalisée à sa demande sur base de moutons Wensleydale et Gotland par un berger basé à Lahage, dans la province du Luxembourg.

"Faute de filature, je la fais traiter en Angleterre dans un atelier à taille humaine dont les valeurs cadrent avec celles de l’éleveur et des miennes. Il s’agit donc d’une laine presque entièrement belge avec laquelle on peut tricoter de beaux pulls à la patine très rustique."

Dans cette même idée de revalorisation de la laine, Suzanne Hosmans soutient aussi le projet Laine Fleurie. Elaborée dans le cadre de Natagora (DEFI-Laine) pour préserver la diversité des campagnes, cette laine, qui se décline notamment en coussins, affiche le nom de chaque intervenant sur l’étiquette des produits : éleveur, tondeur, laveur, filateur et créateur.

En trois ans de recherche, Suzanne Hosmans a donc réuni une mine d’informations utiles à ceux qui veulent s’inscrire dans un mode de consommation différent. Mais le chemin est encore long.

Marie-Thérèse Chaupin : "Le principal objectif des groupes d’éleveurs que nous soutenons en France, mais aussi en Belgique, est de fournir un produit de qualité. Face à la nouvelle tendance vegan – dont nous respectons, c’est important de le préciser, certaines revendications –, nous préférons rappeler que seul un mouton élevé avec respect fournira une belle laine. La tonte, quoi qu’en disent certains, est bénéfique pour l’animal. Aujourd’hui, il existe de sublimes synergies européennes qui laissent présager le meilleur pour l’avenir du secteur. Je pense notamment à un groupe d’éleveurs basés à Arles. Chaque année, ils font traiter trois tonnes de mérinos de qualité dans une filature italienne tout en conservant un contrôle sur la laine. C’est en multipliant les initiatives de ce genre qu’on réhabilitera des métiers oubliés, qu’on en sauvera d’autres et que les gens pourront à nouveau porter des pulls beaux et durables."

Découvrez notre sélection de pulls slow: 

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