Que devient Tom Kristensen, le pilote de tous les records ?

Moins médiatisés que les stars de la F1, des pilotes comme Tom Kristensen marquent également l’histoire des sports moteurs. Nous avons rencontré le pilote cet été, lors du Grand Prix de Francorchamps, à deux heures du départ. L’homme reste passionné par la fièvre des courses, l’ambiance des paddocks et le travail d’orfèvre des équipes d’ingénieurs et de techniciens au service de l’exploit sportif...

PAR INGRID VANLANGHENDONCK. PHOTOS : ROLEX, PHOTONEWS, SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

L es amateurs de courses d’endurance le connaissent sous le patronyme de “Mr. Le Mans”, un titre glorieux qu’il dispute gentiment avec notre compatriote Jacky Ickx. Avec au compteur ses neuf victoires au Mans, soit une de plus que Jacky, c’est bien le Danois qui est recordman de l’épreuve. Modestement, il nous raconte qu’il a trouvé depuis longtemps un gentlemen’s agreement avec son ami belge : Il est Monsieur le Mans et je suis Mister le Mans, nous explique t-il en souriant. Sacré champion du monde d’endurance en 2013, Kristensen a pris sa retraite à l’issue de la saison 2014, à 47 ans ; une longévité assez rare dans ce sport si exigeant.

En vidéo, comment obtenir une augmentation :

Aujourd’hui, l’ancien pilote reste ambassadeur actif pour Audi, il est aussi consultant, il donne des conférences sur le succès et l’importance de l’esprit d’équipe, il est aussi actif à la télé danoise pour commenter les courses. Enfin, à l’occasion du centenaire de la course mythique du Mans cette année, il a aussi été nommé ambassadeur pour Rolex. La marque horlogère est impliquée dans le monde des courses d’endurance et à ce titre, les 24 Heures du Mans incarnent assurément
la course la plus légendaire : Elle met à rude épreuve la fiabilité des voitures tout comme la résistance physique et mentale des pilotes. Tous les champions, y compris ceux qui brillent au firmament de la vitesse, rêvent de se confronter un jour au véritable défi d’endurance que représente cette course mythique.

Vous vous définissez comme quelqu’un qui est porté par la passion, comment cela se traduit-il dans votre vie ?

Je suis surtout quelqu’un qui aime vivre chaque moment intensément, et ce rapport au temps est important quand on parle de course automobile. Mais si je dois vous raconter comment est née cette passion, je pense que pour moi, comme souvent, elle nous vient de ce que l’on nous transmet, de nos expériences et de notre environnement. Cela vient presque à chaque fois de nos parents, et je suis plutôt fier d’être le mélange de leurs deux personnalités. C’est au cœur de l’enfance que tout a démarré. Vous savez, je suis né dans une station-service. Mon père avait une station d’essence et un petit garage, c’était un milieu assez humble, mais mon père aimait la course de voiture et nous a transmis cette émotion de la course et de la mécanique.
Il réparait et préparait les voitures, j’ai vu ses échecs et ses victoires. Il a couru une fois le Paris-Dakar en camion et j’aurais rêvé de le refaire une fois avec lui. Néanmoins, mes parents ne m’ont pas poussé dans le monde de la course, surtout ma mère qui aurait plutôt eu tendance à vouloir me faire sortir de voiture que d’y entrer (rires).

 

Nourrissez-vous plutôt une passion pour les voitures ou pour la course et la compétition ?

Pour l’aventure en général. Il y a la voiture, mais il y a aussi et surtout tout ce qui se passe autour. C’est tellement un travail d’équipe où le ressenti et l’apport de chacun ont leur importance, même le plus anodin des gestes peut être déterminant et chacun le sait dans l’équipe. Je dis toujours que si on veut courir, il ne faut surtout pas le faire uniquement pour soi-même. Il faut le faire pour rendre toute votre équipe fière de votre performance. Même la pression, l’intensité de la course, je la vis comme une forme de contrôle de la passion. Il faut s’assurer de toujours être nourri de cette flamme : apprendre à saisir sa chance, prendre le risque calculé. La détermination que demande ce métier, ce n’est pas possible sans passion. C’est vrai que l’esprit d’équipe est une constante quand on parle de sport, que ce soit pour les sports d’équipe, mais presque tous les sports nécessitent des interactions avec les préparateurs, les soigneurs... Mais en automobile, c’est encore plus complexe, il faut de la précision, de la technique, prendre des risques sans avoir le temps de consulter tout le monde, et il est impératif qu’il y ait une totale confiance entre tous les acteurs pour y arriver. Cela va de la construction de la voiture à chaque détail le long de la course, le respect de chaque maillon de la chaîne est fondamental. C’est une valeur importante pour moi, En course, tout est en plus lié au timing, il faut le timing parfait et ce sont des choses qui continuent de me passionner, même si j’ai arrêté la course depuis des années aujourd’hui.

Est-ce que le danger est une part de cette émotion ?

Oui ! Je suis quelqu’un de positif et je le prends comme un challenge, mais cela fait assurément partie du monde de l’automobile. Les sports moteurs demandent cette prise de risque, mais quand le danger ne mène pas au résultat, il ne sert à rien. Je reçois de l’adrénaline de beaucoup de choses, mais je ne recherche pas le coup de boost lié au risque. Rester alerte est aussi excitant, car cela vous permet de saisir une opportunité au bon moment, même si elle comporte un risque. Cette sensation de maîtrise est plus importante pour moi que l’adrénaline de la mise en danger.

Devenir ambassadeur pour Rolex, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je dois bien avouer que je n’aurais jamais pensé qu’une si belle marque vienne me proposer un partenariat, et évidemment, je me suis senti privilégié. C’est une belle famille, ils incarnent pour moi la plus belle manière de calculer le temps et c’est quelque chose dont je me sens proche en tant qu’amoureux des sports moteurs. Il ne s’agit pas seulement du luxe apparent ou de l’objet en soi, mais entre tous ces moments et ce rapport au temps, qui est si intense en course, il y a une connexion. Et puis c’est tout de même Rolex qui a conçu la Daytona, une montre créée pour les pilotes et qui évoque le circuit en Californie. On a tous rêvé de porter la même montre que Steve McQueen ou Paul Newman ; c’est une montre de légende, née de son lien avec la course automobile. Tout cela a un sens à mes yeux.

En dehors des circuits, quelle est votre relation aux voitures et au monde de l’automobile, qui est source aujourd’hui de nombreux débats...

Mon père était mécanicien, j’ai donc vu passer des tas de voitures... J’aime leurs formes et leurs odeurs. Mais je pense aussi que nous sommes dans une période où les constructeurs automobiles ont un rôle crucial à jouer. Il faut faire mieux ! J’essaie de communiquer beaucoup là-dessus et de porter ce message : le challenge est là, il faut prendre le pli ne plus chercher la performance immédiate. Je fais partie de ceux qui défendent l’idée que les ingénieurs et ceux qui savent ce qu’ils font doivent trouver des solutions, mais le temps presse. Les constructeurs et concepteurs automobiles sont des acteurs du changement et c’est un privilège à mes yeux, de pouvoir créer quelque chose de mieux, mais c’est aussi un challenge énorme !

Dans ce contexte, quel type de voiture aujourd’hui vous fait encore rêver ?

Au-delà de ces considérations, je reste un fan des voitures de course des années 60, ce sont les plus belles. C’est une époque où, pour la première fois, on a fabriqué des voitures qui étaient à la fois belles et sportives. Les voitures de cette époque marient le design et la performance. Aujourd’hui, tout est fait pour les véhicules électriques. Et je dois bien avouer qu’elles ne me donnent pas les mêmes sensations, pas la même adrénaline. Je reste un pilote, mais je suis aussi tellement conscient que nous devons faire quelque chose, et que l’avenir est dans la direction de ces véhicules-là. Le monde, l’environnement, le climat, c’est une responsabilité qui nous incombe en tant que consommateur aussi, et cela ne se fera pas sans les grands constructeurs de voitures. J’aime les voitures électriques en ville, elles sont parfaites pour nous conduire d’un point à un autre au quotidien, même si, pour un long voyage en famille, on n’y est pas encore. Mais j’ai la conviction qu’il faut y arriver, et vite.
 

Aujourd’hui, vous vous êtes retiré des circuits. Vous qui disiez être porté par la victoire, quelles sont désormais vos victoires ?

Vous savez, au quotidien, je suis un conducteur très calme (il rit). Comme un boxeur n’est souvent pas un bagarreur en dehors du ring, je ne confonds pas le circuit et la route. On ne peut pas vivre toute une vie à 100 à l’heure avec ce niveau de stress et d’intensité. J’ai pris ma retraite assez tard et j’ai un vrai plaisir à mener une vie plus sereine. J’aime mon travail à la télévision, transmettre la passion, mais sans avoir à subir la pression que chaque pilote doit gérer tout au long de la saison. Ce que j’aime aujourd’hui, c’est de pouvoir communiquer ces émotions, ces sensations de la course, parler de mon expérience. Transmettre, c’est cela ma victoire !

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