Caviar, vin, pasta : rencontre avec quatre producteurs qui réinventent notre terroir

Le caviar, le vin, le cola et la pasta ne sont pas à proprement parler des produits locaux... Et pourtant ! Rencontre avec quatre producteurs qui réinventent notre terroir.

PAR LAURA SWYNEN, PHOTOS D.R. |

Que ce soit en mode, en déco ou en gastronomie, la tendance est clairement au local. Plus que jamais on valorise les produits de nos artisans,on élabore notre menu en fonction des aliments de saison et on scrute leur étiquette afin d’en connaître la provenance. Par respect du travail des agriculteurs belges ou par conscience environnementale, on évite désormais les ingrédients cultivés à des milliers de kilomètres de nos régions. Mais soyons réalistes : si le Belge est toujours plus attentif à l’origine, la qualité et l’impact environnemental de son assiette, il est quasiment impossible d’élaborer so menu en misant intégralement sur les productions belges. Notre assiette serait bien triste si nous devions bannir les pâtes, le saumon, le parmesan ainsi que tous ces plaisirs culinaires provenant des pays voisins.

Heureusement pour les globe-mangeurs que nous sommes, plusieurs agriculteurs ambitieux ont introduit des aliments originaux dans notre terroir. Qui sont-ils ? De véritables passionnés ou des entrepreneurs ayant flairé le business florissant du commerce local. Aidés par la biologie, la technologie ou le réchauffement climatique, ils n’ont pas ménagé leurs efforts pour développer ces cultures étrangères à nos terres.Rencontre avec quatre d’entre eux.

Le vin rouge du Namurois

Lorsque l’on pense au vin rouge, on visualise les vignobles du Sud de la France ou d’Italie. Des vignes croulant sous le poids des raisins qui se gorgent de sucre et noircissent au soleil. Et si je vous disais que la Belgique est, elle aussi, une terre de vin rouge ? Des vignerons aussi audacieux que courageux s’y consacrent pleinement, notamment dans la province de Namur, à La Bruyère où s’est installé le Domaine du Chenoy. À la tête de ce vignoble de 50 000 pieds, deux frères franco-belges, Pierre-Marie et Jean-Bernard Despatures. Deux bio-ingénieurs passionnés de vins. Fort de l’expérience du frère aîné, Jean- Bernard, qui a géré plusieurs domaines bordelais pendant 17 ans, et de leur collaboration avec Eric Boissenot le célèbre œnologue français, le duo a repris avec succès le vignoble lancé par Philippe Grafé. Leur credo ? Produire des vins aussi locaux, bios et originaux que ceux de leur prédécesseur.

    Frais, original et fruité 

    Deux ans après la reprise du domaine, ils proposent cinq nouveaux crus dont l’un s’est déjà retrouvé à la table du Roi. " Notre objectif est que vous puissiez profiter de l’ensemble de votre repas avec nos vins, des bulles aux vins rouges sans oublier le vin blanc sec ", explique le cadet. N’imaginez pas qu’en savourant leur cuvée, vous retrouverez la typicité des grands crus bordelais, le vin rouge du Domaine du Chenoy possède ses propres caractéristiques. "Sa couleur rappelle celle des Côtes du Rhône. Au nez, il ressemble au Syrah, mais en bouche, on y trouve la fraîcheur de notre terroir. C’est le résultat de leur vignoble original. 80 % de la production mondiale de vin viennent d’une dizaine de cépages. En optant pour des vignes interspécifiques, nous avons choisi des plantes plus adaptées au climat, plus résistantes aux maladies, et plus originales."

    Résultat : le vin rouge du Domaine du Chenoy possède des notes fraîches, fruitées et a une teneur en alcool légèrement moins élevée que les vins rouges classiques. "Vous pouvez boire trois verres sans être pompette", ajoute-t-il avec humour. L’année prochaine, les frères Despatures mettront sur le marché leurs premières bouteilles labellisées bio — même si le vignoble a toujours suivi cette philosophie.

    www.domaine-du-chenoy.com

    Le cola 100 % Belge 

      Normal, light ou zéro? Notre choix en matière de cola se résume presque toujours à la quantité de sucre ou d’aspartame que nous souhaitons ingérer. Même si Pepsi a réussi à s’implanter dans certaines chaînes de fast- food, personne ne peut nier que notre pays se trouve dans une véritable “Cocarchie”. Présente dans la quasi-totalité des pays — seule la Corée du Nord semble encore lui résister — la marque Coca-Cola peut se vanter de vendre 1,5 milliard de bouteilles par jour. Personne n’imagine rivaliser avec ce Goliath du soda. Pourtant, tels les irréductibles Gaulois d’Uderzo, un Belge attend sagement son heure de gloire.

      Depuis 2017, grâce à Jan Verlinden et son entreprise Ritchie, vous pouvez vous délecter d’un cola made in Belgium. La brasserie spécialisée en limonades a été fondée il y a plus d’un demi- siècle par son arrière-grand-père. "À 22 ans, mon père m’a demandé si je voulais reprendre les rênes de la société, mais j’avais besoin de connaître autre chose."

      Belge et naturel

        Passionné de marketing, Jan travaille pour de grandes sociétés internationales et sillonne le monde, de la Corée du Sud à la Scandinavie. Il devient même directeur marketing de Pepsico Belgique. "Après quinze années passées à travailler pour des multinationales, j’ai décidé de reprendre le business familial." Il relance donc d’abord deux best-sellers de la marque, des limonades à base d’orange et de pamplemousse. "Beaucoup de gens l’ignorent, mais la limonade fait partie du patrimoine belge, au même titre que la bière et le chocolat. Dans les années 50, les microbrasseries fleurissaient dans chaque village. Malheureusement, les géants américains ont débarqué sur le marché mettant à mal ce secteur en plein essor !"

        Suite au succès de ses limonades, il retravaille la recette familiale de cola. Oubliez tout ce que vous savez sur ce rafraîchissement, la recette de Jan se veut 100 % naturelle. Exit les myriades de colorants et autres exhausteurs de goût. Dans ses bouteilles au look vintage, on retrouve des épices, du citron, du jus de pomme, du sucre de canne et du malt d’orge. "Je voulais que le cola Ritchie soit exempt d’acide phosphorique et de caramel E150D, deux ingrédients chimiques qui sont omniprésents dans les colas classiques", assure le Belge qui redore ainsi la réputation du roi des sodas.

        drinkritchie.com

        Les pâtes campinoises

          C’est certainement la spécialité italienne préférée des Belges. Linguine, rigatoni ou fusilli : les pâtes font partie intégrante de notre quotidien. Si bien que, dans notre pays, on en consomme en moyenne près de cinq kilos par an par habitant. L’aliment se compose principalement d’eau et de blé. Ce dernier poussant à foison dans notre pays, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre 2019 pour se délecter de pâtes préparées à partir de blé belge. La raison pour laquelle notre pays n’est pas devenu “Il maestro della pasta”, c’est parce que nos agriculteurs cultivent du blé tendre, ou froment, au lieu du blé dur, une culture plus présente dans les pays d’Amérique, en Australie ou dans le Sud de l’Italie.

          "La consommation de pâtes est en constante augmentation dans notre pays et le consommateur belge achète de plus en plus de produits équitables", explique Johan Steyaert codirecteur de RV Food, une entreprise spécialisée dans l’importation et la distribution de produits dans les pays du Benelux. "Nous commercialisons beaucoup de pâtes et nous trouvions dommage que le blé utilisé pour les fabriquer vienne de si loin. Nous avons donc fait appel à la Haute École Thomas More à Geel et à un expert céréalier qui ont initié un projet pilote pour cultiver du blé dur sur le sol belge", poursuit-il. L’équipe est donc partie à la recherche de l’endroit idéal pour introduire cette culture et c’est en Campine qu’elle a trouvé son bonheur.

          Un petit coup de pouce du climat

            Si la région campinoise est dotée d’un sol idéal, similaire à celui des pays méditerranéens, la culture du blé dur dans nos régions est aussi facilitée par le réchauffement climatique. "Petit à petit, nous pouvons introduire, dans notre pays, des cultures qui s’épanouissent habituellement dans les régions du Sud." De ce projet pilote lancé en 2016, sont nées quatre variétés de pâtes sèches Belcampi, un nom qui rend hommage à notre pays mais aussi à la terre d’accueil du blé dur belge. La gamme comprend des spaghetti, linguine, penne et fusilli qui sont, depuis quelques mois, disponibles dans les plus grandes chaînes de supermarchés du pays. Mais les entrepreneurs de RV Food ne s’arrêtent pas là : ils lanceront bientôt une gamme de pâtes fraîches et des pâtes farcies... à la belge bien sûr ! Vol-au-vent, asperge et autres mets locaux agrémenteront leurs farces.

            belcampi.be

            Le caviar de Dottignies

              Du plus humble des produits au mets de luxe, il n’y a qu’une idée. Spécialisée dans la production de farine et de fourrage, l’entreprise familiale Joosen-Luyckx Aqua Bio a décidé, en 1985, de se lancer dans le développement de nourriture pour poissons. Afin de tester leur nouvelle gamme, ils ont importé des esturgeons et construit une écloserie. Et c’est ainsi, en regardant ces esturgeons nager dans leurs bassins, que leur vint une idée : et s’ils devenaient les premiers producteurs de caviar d’élevage ? Quelques années et expériences plus tard, ils se lancent sur le marché de l’or noir avec 200 kilos de caviar.

              "Nous tenons une place très spéciale sur le marché mondial, étant donné que nous nous occupons de tout : de la production des aliments des esturgeons au caviar, sans oublier la pisciculture", explique fièrement Raymond Tanghe, employé commercial chez Royal Belgian Caviar. C’est à Dottignies, dans des bassins d’élevage, que grandissent les esturgeons belges. Quand ils arrivent à maturité, soit quelques années après la production de leurs premiers œufs, ils sont transportés à Turnhout pour que soit récolté, à la main, le précieux caviar.

              Rien ne se perd

              La particularité du caviar belge ? Chez Royal Belgian Caviar, contrairement aux méthodes traditionnelles, on ne mélange pas les œufs d’esturgeons. Chaque boîte de caviar provient d’un seul et unique esturgeon. Qu’advient-il du poisson après la récolte des œufs ? Rien ne se perd, tout se transforme. "La chair du poisson est revendue. Ce poisson est très prisé dans les restos étoilés. Les autres morceaux sont utilisés pour faire du bouillon ou des aliments pour chats."

              L’entreprise familiale s’est fortement développée et produit aujourd’hui environ 6 tonnes de caviar par an ! 40 % de leur production atterrissent dans l’assiette des Belges et sur les tables des restaurants les plus prestigieux du pays. Le reste voyage à travers le monde, des États-Unis au Japon. En ce qui concerne le choix du caviar, notre expert vous conseille de ne pas vous fier au prix. "Le fait qu’un caviar soit plus cher ne veut pas nécessairement dire qu’il est meilleur. Le prix varie en fonction de l’esturgeon et du nombre d’années dont il a besoin pour arriver à maturité. Goût, taille, texture ou couleur : chaque espèce possède des œufs différents, à vous de choisir celle qui vous plaît le plus."

              www.royalbelgiancaviar.be

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