Christophe Hardiquest se confie juste avant la fermeture de Bon Bon

Dans quelques jours, Bon Bon fermera définitivement ses portes. Pour l’occasion, nous avons rencontré Christophe Hardiquest. Entre souvenirs nostalgiques et nouveaux projets encore mystérieux, le chef se confie sur cette merveilleuse page qui se tourne.

Par laura Swysen Photos DR et Luc Viatour |

Lundi, 10h. Alors que le restaurant est censé être fermé aujourd’hui, il y a de l’animation en cuisine. Après m’avoir saluée chaleureusement, Christophe Hardiquest me reçoit sur sa paisible terrasse. Se sentant à la fois libéré et ému – qui ne le serait pas quelques jours avant de mettre un point final à un si beau chapitre démarré il y a plus de 20 ans ? – il s’est prêté au délicat exercice de l’interview rétrospective. Christophe Hardiquest, c’est un chef doublement étoilé, mais c’est surtout un gastronome passionné et passionnant, un entrepreneur inspirant ainsi qu’un homme bienveillant débordant de très belles valeurs et attentif aux personnes qui l’entourent. De ses débuts dans un magasin de meubles à son avenir, il s’est prêté au jeu des confidences.

La vidéo du jour :

Votre amour de la gastronomie vous vient de votre famille. Qu’est-ce qui vous a convaincu à en faire votre métier ?

« J’ai dit à mon père que je voulais être chef à 13 ans, c’était dans mon ADN. Cet amour me vient de ma grand-mère qui était également ma marraine. Elle avait l’artisanat dans la peau, elle faisait tout elle-même. Elle préparait du boudin noir, du jambon, du lard. Elle faisait son propre pain au lait maison. J’étais tout le temps dans la cuisine à lécher les fonds de casserole. La sauce vol-au-vent, les sucs de viande, le pudding à la vanille... J’ai des goûts et des odeurs en tête que personne ne pourrait imaginer. Ça n’a pas de prix. Tout ce que j’ai vécu en tant que gamin, j’aimerais le remettre en place. C’est un de mes fantasmes. »

Cela fera partie de votre nouvelle carrière ?

« Avoir mes poules, collaborer avec un fermier, faire du compost : cela fait clairement partie de mes projets. J’ai une sorte de vision circulaire sur le restaurant de demain. Je suis en plein chaos créatif. Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais. J’aime cette remise à zéro qui va me permettre de prendre des décisions adaptées à l’évolution du monde. Je suis un challenger, j’aime les défis. C’est pour cela que j’arrête mon resto tel qu’on le connaît, car ça ne me convenait plus. Ce chaos créatif me permet de me repositionner. »

Quels sont les chefs qui vous ont le plus inspiré ?

« Alain Passard et Yannick Alléno, je les considère comme mes deux grands-frères, cela fait des années que nous nous connaissons et nous avons de belles relations. J’aime leur manière de s’adapter à leur époque, ils ont toujours une longueur d’avance. Ils m’ont beaucoup inspiré d’un point de vue culinaire. »

Quand vous avez ouvert le premier Bon Bon, dans un magasin de meubles, vous n’aviez que 2500 euros en poche. Vous vous attendiez à un tel succès ?

« Non. Je voulais juste cuisiner. Je ne me suis pas posé 36.000 questions. Mon coeur me disait de me lancer, d’avoir de l’audace. C’était un peu mon premier chaos créatif. Je ne savais pas où j’allais. Il est important de montrer une image positive de l’entreprenariat, qu’il n’est pas impossible de démarrer de zéro, qu’il n’y a pas que le rêve américain, le rêve européen existe aussi. Mon vrai kiff dans ce métier, c’est de voir les gens que j’ai formés réussir. »

Vous avez des exemples ?

« Il y en a plein ! Ils travaillent au Canada, au Brésil, au sud de la France... Je pense à Adrien Cunnac qui a travaillé 10 ans chez moi et qui est chef Chez Odette à Williers, en France, à deux pas de la frontière franco-belge. Il va devenir une perle de la gastronomie, je vous le dis ! Je pense aussi à Basile De Wulf, un chef brillant qui a ouvert son resto dans un chalet en bois. Il y a encore Sebath Capela que j’ai mis sur un projet à Genappe, il va faire un carton ! J’ai vraiment eu ce plaisir de former et d’inspirer une jeune génération qui est encore plus brillante que la nôtre. »

Quel est votre plus beau souvenir ?

« Il y en a tellement ! Je me souviens d’un dîner très impressionnant, quand le président du sénat américain est venu manger chez Bon Bon. Il y avait des snipers partout sur les toits et ses gardes du corps. C’était fou d’avoir une telle artillerie dans et en-dehors de mon restaurant. On a eu aussi pas mal de stars qui sont venues chez nous, je ne vais pas citer de nom, mais je peux juste vous dire que nous avons dû, un jour, refuser Johnny Depp et Vanessa Paradis ainsi que Nelly Furtado, car le restaurant était complet de chez complet. Un autre beau souvenir, c’est quand un client veut faire un repas sans budget limité, cela nous donne l’opportunité de travailler les plus beaux produits, d’avoir les plus belles bouteilles. C’est très challengeant de devoir préparer le plus beau menu qui soit. J’aime aussi les choses plus simples, quand je vois des clients qui n’ont pas spécialement les moyens et qui viennent casser leur tirelire chez nous, pour célébrer une occasion particulière. Cela me touche énormément. On les gâte encore plus, pour qu’ils vivent une expérience encore plus magique. »

Les plats signature dont vous êtes le plus fier ?

«  Mes bijoux d’huîtres ‘Perle blanche’, une sorte de carpaccio d’huître servi avec une chantilly à l’échalote et à la livèche avec du caviar et de huile de menthe. Mon rouget-barbet en écailles de lard, cèpes et sauce au vieux rhum ou encore mon canard au spéculoos. »

Avoir une étoile, c’était un de vos objectifs ?

« Au départ non, tout ce que je voulais, c’était cuisiner. Mais quand vous en recevez une, vous vous prêtez au jeu et vous en voulez une deuxième. C’est un peu comme une équipe de foot, parfois on gagne, parfois on perd. Quand on joue, il faut accepter les règles. Cela permet une remise en question, même si je ne suis pas toujours d’accord avec leurs prises de position. Mais, au fond, je m’en fous un peu. Le plus important pour moi, c’est de se réjouir de la réussite des autres et d’être libre avant tout. Je fais ce que j’ai envie de faire, je suis mon coeur et j’arrête mon resto gastronomique. Je suis vraiment dans une liberté totale d’expression et dans un nouveau chaos créatif ».

De l’avenir de Bon Bon ou de ses prochains projets, le chef se veut encore très discret et préfère attendre quelques mois avant de dévoiler ses nouveaux concepts. « On vous annonce de chouettes choses en perspectives. Mais on va encore attendre un peu avant de les dévoiler. Ce sera pour fin 2022 », nous tease le chef. Mais, connaissant la passion, le parcours et le talent du chef, on se doute qu’il nous réserve de succulentes surprises. Si, terminer par une citation me rappelle un peu trop mes cours de dissertation, je ne peux m’empêcher de glisser une pensée de Charlie Chaplin qui sied à merveille au chef et à ses nouvelles aventures : « Du chaos (créatif) naît une étoile ».