Le boum des viandes maturées

Il y a quelques années, on découvrait ces viandes d’exception dans les restos étoilés, elles s’invitent aujourd’hui au menu de nombreux restos, et même dans nos cuisines. Décryptage 

Par Laura Swysen. Photos D.R. |

La patience est une vertu, les gourmets en sont convaincus. À l’instar du vin et du fromage, la viande se bonifie, elle aussi, avec le temps. Fondante, savoureuse et d’une qualité rare : les amateurs de bonne chère ne tarissent pas d’éloges sur la viande maturée dry aged. Une technique qui consiste à affiner la viande rouge pendant plusieurs semaines afin de l’attendrir et d’en accentuer les arômes. Devenue moins populaire avec l’industrialisation de l’élevage, cette technique retrouve petit à petit le chemin des restaurants.

Si, il y a encore quelques années, ces pièces d’exception étaient cantonnées aux cuisines des restos étoilés, elles s’invitent aujourd’hui au menu de nombreux établissements belges. Une tendance décortiquée par des gastronomes chevronnés, qui en ont fait leur spécialité.

La substantifique moelle

Bien que la déco du Meat Bar - un resto réputé pour ses viandes de qualité situé à Woluwe-Saint-Lambert – soit  contemporaine, chic et épurée, tous les regards se tournent systématiquement sur sa chambre de maturation, une grande vitrine dans laquelle reposent de beaux morceaux de viande pendant, en moyenne, quatre à six semaines.

Grâce à une température fraîche et à un taux d’humidité bas, ces chambres permettent aux viandes d’entrer en maturation. Une phase qui résulte d’une réaction enzymatique et se déclenche au sein du muscle. Pour faire (très) simple – pas de panique, on ne va pas transformer votre So Soir en cours de biologie - des enzymes sont sécrétées après la mort de l’animal.

Celles-ci fragmentent les fibres musculaires et attendrissent ainsi naturellement la viande. Les chambres de maturation permettent de prolonger l’affinage de ces viandes et d’éviter qu’elles ne périment. Au fil des semaines, la chair se déleste d’une partie de son eau et concentre ses saveurs. 

La qualité, c’est la clé

Toutes les viandes ne sont pas bonnes à être affinées. Ce sort est réservé aux parties les plus nobles de l’animal. « La côte à l’os se prête bien à ce procédé car la viande est protégée par l’os et une couche de graisse. Grâce à cette double protection la viande ne s’abîme pas », explique Sami Daibes, le chef du Meat Bar.

Dans cette adresse branchée de Woluwe, on se délecte de viandes d'exception d'origine traçable, maturées et cuites au feu de bois. Si l’origine et la qualité de la viande sont aussi importantes, c’est parce que ces aspects sont primordiaux pour une maturation réussie. Tout comme une piquette ne devient pas un saint-émilion au fil des années, une entrecôte de piètre qualité ne se transformera pas en morceau de choix après maturation.

Seule une pièce noble provenant d’un animal d’exception sera affinée par les chefs. En fonction de la race de l’animal, de son âge et de son alimentation, la viande maturée développera des saveurs particulières. Des arômes qui dépendent également de la durée de maturation. « Plus la viande est de qualité, plus nous pouvons l’affiner longtemps. Dans notre établissement, nous n’allons jamais au-delà de huit à neuf semaines car une maturation longue diminue la masse de la viande et lui confère un goût très prononcé qui peut déranger certains clients », poursuit le jeune chef de 26 ans.

Un voyage gustatif

« Chaque viande a un potentiel initial comme un vin. Tout le secret est d’arrêter la maturation au bon moment, c’est-à-dire quand le seuil de tendreté maximal est atteint et quand le goût est sublimé et encore agréable », confie Anaïs Droeven qui gère avec son mari Benoît Vano, le  Colonel, une institution pour les Bruxellois carnivores. Fasciné par les spécificités et les goûts très variés des viandes maturées, le couple en fait l’une de ces spécialités. Malgré la crise, le duo de gourmets passionnés a récemment ouvert un deuxième restaurant dans le quartier Fort Jaco.

Dans ces établissements ainsi que sur leur e-shop, vous pouvez acheter des viandes maturées pendant quatre à six semaines prêtes à être cuisinées. Écoutez bien leurs précieux conseils, car le faux-pas culinaire n’est jamais très loin... Quand on prépare une viande d’une telle qualité, la tentation peut être forte de l’accompagner de sauces riches en goût ou de garnitures très sophistiquées, une fausse bonne idée d’après l’experte. « N’optez pas pour des marinades ou des sauces trop puissantes comme celles au poivre ou au roquefort. Ce serait vraiment dommage de masquer le goût et la finesse de la viande.

Au restaurant, nous la servons idéalement saignante et grillée au Josper. Nous proposons des dégustations « à la pur » ou nous l’accompagnons d’un petit jus de viande corsé qui rehausse les saveurs sans dénaturer le produit. » Un avis partagé par Sami Daibes : « personnellement, j’utilise la sauce pour tremper mes frites. Quand la viande est d’une telle qualité, elle se suffit à elle-même. Une bonne cuisson, un peu de sel, de poivre et le tour et joué ».

Attention aux pièges 

Comme toutes les tendances gastronomiques, la viande maturée connaît son lot d’imposteurs, des établissements qui s’autoproclament spécialistes en maturation et servent des viandes à peine affinées. Pour reconnaître une pièce dry aged de qualité, Anaïs Droeven a quelques astuces. « On la reconnaît d’abord à l’odeur, qui doit être agréable. À l’aspect visuel ensuite : la couleur, son profil de persillé plus ou moins important et enfin, son goût, qui doit évidemment vous emmener quelque part, tout dépend de la race. Il y a différents voyages, mais tous doivent en valoir la peine ! » 

Si la Rolls-Royce de la viande met tous les gourmets d’accord, son prix – qui peut grimper jusqu’aux 200 euros le kilo pour des pièces rares et très affinées - peut laisser un goût fort salé en bouche. Cependant il faut tenir compte de la qualité de base du produit, de sa durée de maturation et du travail du chef. « La semaine dernière, j’ai travaillé un train de côtes qui faisait treize kilos avant maturation. En six semaines d’affinage, il a perdu un kilo d’eau. Après avoir désossé et coupé les parties non-consommables, il restait environ sept kilos de viande consommable. Le prix peut paraître élevé, mais il ne faut pas oublier la qualité du produit de base. Si on veut avoir une bonne viande maturée dans l’assiette, il faut souvent y mettre le prix. Mais je pense que les gens sont prêts à faire cet effort et à privilégier la qualité quitte à en manger un peu moins », conclut le chef du Meat Bar.

Meat Bar, 250 avenue Georges Henri, 1200 Woluwe-Saint-Lambert, meat-bar.be
Colonel, 24 rue Jean Stas, 1060 Bruxelles et 1405 chaussée de Waterloo, 1180 Uccle , colonelbrussels.com

Et si on veut la cuisiner à la maison ?

Pour les gastronomes qui rêvent de préparer des viandes maturées, rendez-vous à l’incontournable atelier Dierendonck. Dans les appétissants comptoirs de cette boucherie familiale et artisanale, on trouve une belle variété de viandes Dry Aged tournant autour des 55 euros le kilo. « Nous avons entre dix et douze races différentes dans nos chambres de maturation. Nous proposons des viandes belges, mais nous travaillons aussi des bœufs d’Ecosse », explique fièrement Hendrik Dierendonck, dont le restaurant Carcasse (à Coxyde) est apparu à la 44e place du prestigieux classement du N.Y Strop Media House, qui a récemment établi la liste des 101 meilleurs établissements du monde où se délecter d’un steak de qualité. 

De plus en plus de gourmets curieux se rendent dans les établissements Dierendonck afin de découvrir les arômes puissants et intenses des viandes dry aged. « Si c’est la première fois qu’ils tentent cette expérience, je leur conseille plutôt de se diriger vers des maturations courtes. Très souvent, les nouveaux clients me demandent des viandes longuement maturées, mais il vaut mieux commencer par des viandes affinées entre trois et quatre semaines.

La maturation confère un goût très intense à la viande. Des morceaux qui sont restés en chambre de maturation pendant trois à six mois développeront des arômes puissants, proches du foie. C’est un peu comme le vin : il faut apprendre à aimer ce genre de saveur. Il vaut mieux habituer son palais en commençant par des assemblages classiques avant d’opter pour des vins plus complexes », poursuit l’expert.

Côté cuisson, Hendrik Dierendonck conseille de faire préchauffer la viande pendant une heure dans un four à 50°, chaleur tournante. « La viande sera encore plus tendre. J’ajoute du gros sel, du poivre et je la grille ensuite de chaque côté pendant trois à quatre minutes. Avec une viande d’une telle qualité, pas besoin de sauce ou d’accompagnements ultra élaborés », conclut-il. 

Atelier Dierendonck, 24 rue Sainte-Catherine, 1000 Bruxelles et 409 rue Vanderkindere, 1180 Uccle. dierendonck.be

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