Le chef doublement étoilé David Martin nous emmène dans ses valises

Le chef doublement étoilé aime voyager pour se ressourcer, mais aussi et surtout, pour aller à la rencontre d’autres gastronomies, d’autres univers organoleptiques et pour se reconnecter à sa passion, à son métier…

Par Ingrid Van Langhendonck. Photos Morgane Ball. |

Que représentent les voyages pour vous ?

La découverte, ça parait téléphoné de dire cela, mais au final, on voyage avant tout pour s’ouvrir l’esprit. Surtout en tant que cuisinier : si on reste enfermé avec ce que l’on a appris à l’école, on finit par tourner en rond. Or, j’estime que c’est dans les voyages que l’on trouve les clés de la créativité. Entrer dans une cuisine dans un autre pays, dans une autre culture, c’est découvrir de nouvelles techniques, de nouveaux produits. Cela ajoute de la dimension à ce que l’on fait. En Malaisie, par exemple, j’en ai appris beaucoup sur la cuisson de la volaille, dont je croyais pourtant tout connaître. L’échange avec les chefs, c’est passionnant : partager nos connaissances nous rend tous les deux plus riches, si on prend le temps de laisser infuser ce qu’on a vu et goûté.

En attendant, pour vous évader vous faites quoi ?

Je lis ! Mais pas des livres de voyage, je suis fou de livres de cuisine, comme L’Art Culinaire au Japon de Naomishi Ishige, une bible ! Je n’aime pas les livres de recettes : la recette c’est la fin de l’histoire, ce n’est pas cela qui m’intéresse.  J’aime l’histoire, les gens derrière les plats. Je veux savoir pourquoi, quand et comment un ingrédient arrive dans les cuisines, dans les traditions. L’histoire de la gastronomie me passionne. 

Votre dernier voyage ?

La Malaisie. C’était la première fois que je visitais ce pays et je l’ai adoré. Comme j’aime marcher, je vais me perdre dans les rues, je me fonds partout, c’est comme cela qu’on fait de belles découvertes. Un jour, au détour d’une ruelle, j’ai mangé un canard sur un marché, que je n’oublierai pas. Cette petite dame préparait dans la rue un poulet meilleur que le mien... (rires).  C’est en voyageant qu’on réalise qu’on aura toujours quelques chose à apprendre.

Votre plus beau voyage ?

Le Japon ! Assurément. Ça a été un voyage initiatique. Il y a quelques années, j’avais travaillé un peu partout, avec de grands chefs, j’avais comme l’impression d’avoir fait un peu le tour, je trouvais la gastronomie parfois coincée et engoncée dans ses certitudes. On s’était un peu endormis sur notre succès... Je cherchais un nouveau souffle, je n’avais pas envie de vivre de demi-mesures. Alors, j’ai fermé, je suis parti au Japon et à mon retour j’ai tout changé. Ce pays m’a permis de retendre le fil de la créativité et de redevenir passionné par mon métier...

Une destination qui vous ressource ?

Retourner chez moi dans le Sud de la France. Je suis d’un petit village baptisé Fumel dans le Lot-et-Garonne. Mon père est basque et ma maman est alsacienne. Et d’ailleurs, on trouve des traces de ces origines dans ma cuisine, j’aime les plats de campagne, la charcuterie… Le Sud, c’est chez moi.

Un paysage qui vous fait tout oublier ?

Hokkaido, en hiver sous la neige… Surtout qu’on y mange les meilleurs coquillages du monde, servis avec un bouillon d’algues fini avec une pointe de saké...  Je sais, ce n’est pas un paysage, c’est un plat (il rit), mais en fait, j’ai appris que les japonais dressent un plat en fonction du paysage : le relief du dressage est toujours relié à la nature qui les entoure, chaque plat japonais représente un mont ou un paysage de chez eux. 

Un monument qui vous a ému ?

Si je dois lier un lieu à une émotion, je pense au Château Bonaguil, qui est dans mon village, pas loin de Cahors. C’est un très vieux château du XIIIe siècle. Le dimanche, avec mon père, quand j’étais petit, on y allait chercher des tourtières, une sorte de gâteau gascon. Cet endroit me rappellera toujours mon enfance.

Le moyen de transport le plus décalé  que vous ayez utilisé ?

L’âne n’est pas si décalé, mais je ne l’ai pas oublié. Sinon en Malaisie, on a fait une balade tout à fait insolite sur de drôle de petites motos comme des choppers, mais en modèle réduit comme pour des enfants. C’était assez original. 

Une tradition qui vous a étonné ?

L’art de la découpe du poisson, au Japon ; j’ai découvert cette pratique lors d’un voyage avec d’autres chefs, une restaurateur chinois que nous avons rencontré a fermé son restaurant pour cuisiner avec nous et nous a préparé une sorte de poissons sabre comme je n’en avais jamais vu ; ce poisson avait un nombre incalculable d’arrêtes, qui partaient dans tous les sens. Le chef a alors sorti un couteau tout à fait particulier, une pièce magnifique, qu’il était le sens à savoir manipuler et a su enlever toutes les arrêtes pour nous régaler. Ce geste, cette manière de travailler le poisson c’était étonnant. 

Votre galère la plus cocasse ?

C’était en plein été en Malaise. Nous avions voyagé en bus jusqu’ à un site avec des représentants officiels : nous étions face à énorme Bouddha, que nous nous sentons un peu obligés d’escalader par politesse. Et nous voilà à monter les marches sous une chaleur étouffante. C’était sans fin. Sans compter qu’on s’est fait piquer tout ce qu’on avait sur nous par une nuée de petits singes (rires). 

Un artisanat inspirant ?

La coutellerie, sans hésiter. Au Japon ils ont érigé cet artisanat en art. Ici en Europe, on a des couteliers et des artisans pleins de talent mais, là-bas, le couteau est fabriqué à partir de sable ferrugineux plongé dans un four, qu’ils alimentent au charbon pendant trois jours sans dormir. Après avoir coulé le métal, ce four est détruit. C’est un travail de titan, et un cérémonial à chaque étape de fabrication. Ils ont le plus bel acier du monde. Chaque couteau est un objet rare. Je suis devenu collectionneur aujourd’hui de ces lames précieuses et croyez-le ou non, mais je n’ose toujours pas utiliser certains de mes couteaux japonais...  

Une odeur qui vous transporte ?

Le jasmin de Grasse.

Un objet essentiel pour voyager ?

Un sac : un grand sac vide ou une valise pour ramener des souvenirs. Je vis entouré de mes souvenirs et objets de voyage.  

Suivez So Soir sur Facebook et Instagram pour ne rien rater des dernières tendances en matière de mode, beauté, food et bien plus encore.