Le vin nature, un truc de bobo ? : la tendance qui divise mais qui séduit de plus en plus

On le surnomme "vin vivant", et parfois aussi "vin de demain". Le vin nature cartonne aujourd'hui, il s'invite dans la haute gastronomie comme dans nos petits bars de quartier. Pourtant, il demeure encore largement cantonné à une image de simple glouglou pour bobo-écolo. Qu'en est-il au juste ?

Par camille Vernin, Photo : Unsplash |

Véritable objet de clash générationnel et de fragmentation parmi les vignerons et vigneronnes, une chose est sûre, le vin nature divise. Jugé "trop cher", "bobo" ou sentant carrément le "pet de vache", les qualificatifs ne manquent pas pour exprimer son désamour vis-à-vis de ce vin qui connaît pourtant un succès grandissant. Pour preuve, ces 26 et 27 novembre 2023, un festival consacré au "vin du futur" s'installe à Bruxelles : Grrrabuge. Si le vin nature est forcément à l'honneur, on y parle aussi de méthodes vinicoles nouvelles et parfois controversées comme les cépages hybrides ou l'agroforesterie. 

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Vin nature, bio ou biodynamique ?

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Tâchons en premier lieu de distinguer le vin nature des vins bio ou biodynamiques. Les vins biologiques ne cautionnent l'utilisation d'aucun pesticide, fongicide, herbicide, insecticide ou engrais chimique au sein des vignes, mais autorise l'ajout de cuivre et de sulfite. "Le label bio est finalement très peu restrictif sur ce qu'il se passe en cave, lors de la fabrication du vin. On peut utiliser des levures sélectionnées en laboratoires, ainsi qu'une dose importante de souffre, pour garantir la qualité gustative et sanitaire du vin", explique Hadrien Kagan, co-fondateur de Grrrabuge.

La biodynamie considère quant à elle le sol cultivé non comme un simple support, mais comme une source d'énergie pour les vignes. Celles-ci vont être exploitées selon un "calendrier lunaire". Les vignerons auront recours à des pulvérisations à base de plantes et à de la bouse de corne comme "compost" pour les renforcer contre le mildiou et le gel. "Certains parlent d'ésotérisme", explique Hadrien. "Je ne me positionne pas, je peux juste dire qu'il s'agit de vignerons totalement terre-à-terre, qui dédient énormément de temps et d'amour à leurs vignes". En cave, le cahier des charges est beaucoup plus restrictif que le vin bio, et les seuils de soufre autorisés nettement plus faibles (30% inférieurs en moyenne). 

Enfin, il y a le vin nature, aussi surnommé "vin vivant" car sans aucun ajout d'intrants ni de produits chimiques, de sorte à le laisser évoluer de façon spontanée et imprévisible, comme la nature finalement. L'intervention humaine y est réduite à son minimum. Les vignerons préfèrent laisser œuvrer les levures naturellement présentes sur la peau des raisins. Quant au sulfite, il peut être admis en quantité minuscule (en dessous du 30mg/l) afin de protéger le vin lors du transport.

Une question de mode et de goût 

Beaucoup décrivent un travail d'orfèvre, qui implique une attention sans faille du vigneron. À l'opposé d'une standardisation du goût, les différents millésimes des vins natures se suivent mais ne se ressemblent pas. "À force d'ajouter du sulfite pour offrir une résistance au vin, on l'a rendu un peu mort, on le sent en termes d'énergie dans le goût", explique Hadrien. Ici, la suppression des intrants donne des vins plus libres, fidèles au terroir, des vins plus fragiles aussi. "Sans antiseptique, on prend plus de risques. Mais celui qui parvient à produire un vin nature droit et sans défaut, avec zéro milligramme de soufre, réalise quelque chose d'exceptionnel"

Pourquoi une telle réticence chez certains goûteurs dès lors ? "Cela n'a rien à voir avec le vin traditionnel que l'on a eu l'habitude de goûter pendant des années", témoigne Kevin Perlot, chef du restaurant Vertige à Bruxelles qui met les vins naturels à l'honneur. "Le public a été habitué à autre chose, il doit juste s'adapter". Comme la mode, le goût pour le pinard évolue au fil des années. Impulsé par une jeune génération de vignerons, le vin nature adopte les "codes" de son époque : des vins spontanés que l'on boit "jeunes", qui se sirotent facilement, pas trop taniques ni trop forts en alcool. 

Pourquoi une telle réputation ?

"Entre les années 2000 et 2010, plein de nouveaux domaines sont apparus, qui ne maîtrisaient pas forcément ce qu'ils faisaient. Ca a donné beaucoup de vins naturels de mauvaise qualité, des bouteilles au goût de vinaigre avec un maximum de dépôt possible et qui sentaient le pet de vache (rire). Les gens s'en souviennent forcément", explique Kevin. Le chef explique pourtant que beaucoup de grands noms sont en fait des vins natures, certains vignerons ne communiquent simplement pas dessus. Parmi les précurseurs, il cite le Château Lepuy, le Domaine Marcel Lapierre, Mosse en Loire ou encore la famille Breton, toujours en Loire. "Dans le Juras, il y a le pionnier du vin naturel qui a 91 ans. Il a arrêté de mettre du soufre dans les années 80. Ses bouteilles s’arrachent chez les amateurs de vins conventionnels et elles peuvent se garder longtemps", ajoute le chef de Vertige. 

Loin de son image bobo voire carrément New Age, le vin nature semble donc n'être jamais vraiment là où on l'attend. Pour ses aficionados, il représente "l'expression la plus pure du terroir". Plus qu'un mouvement de mode, on assiste bel et bien à un véritable phénomène de fond. D'abord porté par des vignerons convaincus, qui poursuivent une démarche éthique mais aussi de révolution gustative. Puis par le public, en témoigne le marché des vins natures qui augmente désormais de 20 à 30% par an, contre 14% pour le vin bio et une baisse de 4% pour le vin en général. Sur ce, un petit pét-nat ?

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