Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Concept »

... Ça y est ! Je vis dans le fameux “monde d’après”. D’après quoi ? D’après avant, j’imagine. Enfin, il faudrait que je demande. Mais je ne sais pas à qui. Tout est si confus.

PAR GILLES DAL. PHOTO LAETIZIA BAZZONI / Photo by Brooke Lark on Unsplash |

L’autre soir, alors que je m’apprêtais à commander un plat sur mon téléphone portable (le genre de phrase qui aurait laissé pantois un poilu de la guerre 14-18, mais je sais que vous me comprenez), mon regard fut attiré par le logo d’un restaurant dont le “concept” consistait à ne proposer que des plats à base de cassonade et de fenouil.

Pourquoi pas ?, me dis-je... même si je tiquai sur le mot “concept”. J’entends bien que de nos jours, on ne mange plus, mais qu’on “vit une expérience culinaire”, qu’on ne voyage plus, mais qu’on “part à la découverte d’autres horizons”... Bref, je sais qu’une certains sophistication langagière est de mise, mais que diable le mot “concept” venait-il faire là ? Dans une biographie de Spinoza ou dans les œuvres complètes de Nietzsche, j’aurais compris, mais dans le menu d’un restaurant ?

Mû par une rigueur intellectuelle, à laquelle vous rendrez un hommage bien mérité, je suis aussitôt allé consulter tous les dictionnaires à ma disposition pour trouver la définition la plus rigoureuse qui fût du mot “concept”, et j’ai lu qu’il s’agissait d’une “représentation mentale incarnée”, d’“abstrait mué en concret”, de “signifié résultant du signifiant”... Rien de très jojo, ce qui ne fit qu’accroître ma stupéfaction : tant qu’à faire compliqué, me dis-je alors, autant se lâcher carrément, et parler d’abduction, de zététique, de paranomase ! ““L’abduction de notre boulangerie : ne confectionner nos pains qu’en plein air”. “La zététique de notre salon de coiffure : traiter le cheveu en ami”. “La paranomase de notre galerie d’art : ne promouvoir que des artistes ambidextres et en quête de sens”.

Sur le principe, rien à redire : nous vivons dans un monde de concurrence tous azimuts, où il faut déployer des trésors d’inventivité pour tirer son épingle du jeu, que ce soit en trouvant des noms rigolos (“Faudra Tif Hair” pour un coiffeur ; “David croquettes” pour un magasin d’alimentation animale) ou en proposant des promos originales (un croissant offert à tout client porteur de lunettes de soleil et récitant l’alphabet à l’envers, par exemple). Pour le reste, la langue française évolue et le mot “concept” peut signifier plusieurs choses à la fois, bien sûr... sauf qu’il s’est mué en tic de langage et qu’au train où ça va, on découvrira bientôt certains parcs proposant un “concept de promenade”, certains bus un “concept de déplacement” et certains restaurants un “concept consistant à commander un plat, à le manger, à payer, puis à partir”.

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