Octobre rose : zoom sur le tatouage aréolaire

Ce n’est pas parce que le tatouage s’est fortement banalisé qu’il est naturel pour une femme qui sort tout juste d’un combat contre le cancer de pousser la porte d’un studio de tatouage. En ce mois de lutte contre le cancer du sein : gros plan sur une technique qui restaure la féminité.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS PIERRE CHALON. |

Il y a quelques années, le Liégeois Denis Larminier voit arriver dans son studio de tatouage une amie qui se bat contre un cancer du sein. Les psychologues en charge de la guider tout au long de son processus de guérison lui ont parlé du tatouage en 3D de reconstruction du téton, une technique généralement réalisée par des infirmières ou des médecins avec un matériel propre au maquillage permanent. Souvent temporaires (faute d’encre assez pigmentée) et peu esthétiques, ces dessins ne la convainquent pas.

Tatouage banalisé, profession encadrée

" Elle s’est donc tournée vers moi pour voir ce que je pouvais lui proposer. À ce stade, je ne connaissais encore rien à la reconstruction aréolaire, nous confie Denis Larminier. En me documentant, j’ai découvert que dans les pays anglo-saxons - là où le tatouage est plus banalisé que chez nous-, des tatoueurs avaient créé des espaces entièrement dédiés à ce type d’interventions." La tatoueuse canadienne Stacie Rae, chez qui il se forme alors, est spécialisée en reconstruction de type A.R.T (Aerola Restorative Tattoing). Il y a dix ans, à la mort de sa mère des suites d’un cancer, la tatoueuse a subi une mastectomie préventive.

Après sa double ablation, elle découvre qu’aucune des méthodes proposées aux femmes dans sa situation ne permettait d’obtenir un résultat réaliste et durable. Son idée : mettre à profit son expérience d’artiste tatoueur pour reproduire des tétons à l’identique (en termes tant de couleurs que de volumes) sur des femmes ayant subi une ablation, mais aussi professionnaliser le secteur en enseignant la technique lors de formations.

Si la majorité des cicatrices post- mastectomie peuvent être tatouées, il arrive que ça ne soit pas le cas. Lorsque ça l’est, il est nécessaire d’attendre au minimum six mois entre la chirurgie et la réalisation du tatouage. Pour le reste, hormis la phase de cicatrisation qui se passe sous pansement (pour éviter le frottement avec le soutien-gorge), tout se passe de la même manière que pour un tatouage classique.

Les mêmes questions, encore et encore

Récemment, Denis Larminier – presque vingt années d’expérience à son actif – a inauguré une annexe à son studio liégeois, un espace complètement indépendant dans lequel il ne proposera que la technique d’A.R.T. : "Depuis quelques mois, je reçois des demandes de femmes qui souhaitent en savoir plus sur la reconstruction aréolaire. Mais avant de les tatouer, j’ai décidé d’attendre que mon studio soit totalement finalisé. Je me rends compte que l’univers du tatouage classique les terrorise...

Elles ont donc besoin de pouvoir se retrouver dans un espace sécurisant et de pouvoir, sans craindre d’être jugées, poser toutes leurs questions, plusieurs fois s’il le faut." Parmi ces questions, les mêmes reviennent sans cesse : à partir de quand puis-je faire tatouer ma cicatrice ? Est-ce que ça va me faire mal ? Est-ce que le tatouage ne risque pas de percer mes implants ? Denis Larminier : "Il est important de pouvoir expliquer à ces femmes que toutes les cicatrices ne peuvent pas être tatouées et surtout qu’il faut laisser le temps à la plaie de guérir. En la matière, chaque cas est unique.

D’où l’importance de faire appel à un tatoueur aguerri et formé à la technique. La douleur est une question très relative. Le tatouage est douloureux, c’est vrai. Et lorsqu’on vient de vivre l’enfer d’un cancer, elle est parfois difficile à accepter. Quant aux implants, le tatouage, puisqu’il est réalisé en surface, ne peut pas les percer."

Reconstruction physique et psychologique

Si cette technique vise à procurer aux femmes une guérison psychologique (un moyen de les faire se sentir à nouveau “complètes”), le tatoueur qui la pratique doit parvenir à instaurer un climat de confiance entre la patiente et lui.

"Lors de ma formation, j’ai non seulement pris conscience des spécificités propres à la reconstruction aréolaire, tant au niveau des techniques, que des encres ou des machines, mais j’ai aussi découvert les attentes, les doutes et les appréhensions qu’ont les femmes qui, suite à une ablation d’un sein, poussent les portes d’un studio de tatouage. Mon rôle est de leur offrir un résultat aussi réaliste que possible sur un tissu fragilisé. Certaines femmes optent aussi, en complément de la reconstruction du téton à l’identique, pour un dessin artistique. Quel que soit leur choix, mon but est de les aider à reprendre confiance en leur corps et en elle-même.

Certaines ont subi cinq opérations. Le tatouage est donc l’étape ultime vers un retour à une vie normale. Si elles mettent beaucoup d’espoir dans ce tatouage, elles l’associent inévitablement à une nouvelle souffrance. Notre aiguille n’est synonyme de réconfort qu’une fois que tout est fini et qu’elles peuvent tirer un trait sur la maladie. En règle générale, nous procédons en deux temps : une première séance d’environ deux heures, puis une autre dédiée aux petites retouches réalisées après environ dix semaines. Certaines ne reviennent d’ailleurs pas pour cette seconde séance. Preuve que dès qu’elles se sentent suffisamment reconstruites, elles préfèrent oublier. C’est d’ailleurs dans ce but que nous travaillons."

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