Top Chef : Rencontre avec Hélène Darroze

Récemment auréolée d’une seconde étoile Michelin pour son restaurant parisien, Marsan, d’une troisième pour le londonien The Connaught, la cheffe Hélène Darroze revient sur son étrange année, ses souvenirs gustatifs, la nouvelle saison de Top Chef et ce qui fait le sel de son immense talent.

Par Maud Gabrielson. Photos D.R. sauf mentions contraires. |

Un après-midi parisien pluvieux. Hélène Darroze nous reçoit en toute décontraction dans la salle principale de son restaurant Marsan, dans le 6e arrondissement, son chien Fluffy promenant sa truffe mouillée sous les chaises et les tables. Depuis la fin du mois d’octobre dernier, les restaurants sont fermés au public.

Pourtant, les cuisines du Marsan restent pleines de vie, plusieurs cuisiniers et apprentis s’y affairant pour préparer les plats du jour, qui seront livrés à domicile ou retirés directement sur place. La restauratrice et ses équipes, celles du Marsan, mais également celles de son adresse du Joià (dans le 2e arrondissement), se sont en effet organisées pour proposer des plats signatures, à déguster bien à l’abri, chez soi. Burger aux accents du Sud-Ouest, avec du fromage de brebis basque ou du foie gras de canard des Landes et accompagné d’un ketchup maison, Saint-Jacques, homard bleu et salsifis gratinés à la truffe noire du Périgord ou encore, cuisse de canard gras du Sud-Ouest laqué au miel et aux épices, gâteau de pomme, potimarron et jus miellé…

Un programme réjouissant qui réchauffe les cœurs et les papilles, en cette période chahutée. A 53 ans, Hélène Darroze, qui a fait ses classes auprès d’Alain Ducasse à Monaco, est désormais une des sept femmes sur les 130 chefs triplement étoilés que compte du guide Michelin 2021. 

Comment allez-vous en cette période étrange pour tous, et particulièrement difficile pour les restaurateurs ?
Avec les récompenses qui sont tombées et les bonnes nouvelles pour mes équipes, je ne voudrais surtout pas me plaindre. Mais au quotidien, nous sommes toujours fermés, donc nous nous sommes organisés, nous sommes encore en train de nous adapter à ces nouvelles contraintes.

Et aujourd’hui, cela passe par de la vente à emporter. Nous avions déjà mis en place ce système au printemps dernier, lors du premier confinement, à partir des cuisines de Joià qui sont plus adaptées pour cela. Mais nous avons tout de même pu proposer des plats gastronomiques pour Noël par exemple, à Londres également. Les retours de nos clients sont plutôt satisfaisants, ce qui est évidemment encourageant. De semaines en semaines, ils reviennent et nous sont fidèles.

Nous avons également lancé une activité de vente de burgers à emporter et, là aussi, la clientèle est présente. Nous prenons le même soin à choisir nos produits pour ces burgers que lorsque nous cuisinons un plat pour les étoilés : notre boulanger fait le pain, nous faisons notre propre ketchup… Mais il est certain que la situation n’est pas drôle, c’est frustrant de voir les restaurants fermés. Je sais que j’occupe une position privilégiée, beaucoup d’entre nous vont se retrouver sur le carreau. Je suis pourtant consciente que les décisions du gouvernement, et partout à travers le monde, ne sont pas prises de gaieté de cœur.

Faites-vous aussi partie de ces chefs qui estiment que cette crise les a incités à faire preuve d’inventivité ?
Cela nous a donné une impulsion, nous avons dû trouver d’autres sources de développement, c’est certain. Si on m’avait dit que j’allais faire des burgers (elle sourit) … Par la force des choses, nous avons dû revoir notre activité. Mais le vrai point d’interrogation est de savoir ce qui va se passer quand nous allons rouvrir. Est-ce que les gens n’auront pas pris de nouvelles habitudes ? Cette période m’a également obligée à réfléchir sur ma manière de travailler ; comment ma cuisine va-t-elle évoluer quand on pourra sortir de tout cela ? Je réfléchissais déjà beaucoup à notre responsabilité par rapport à tout ce qui est de préserver l’environnement, mais je ne le faisais peut-être pas assez. Je vais poursuivre ma démarche, et me recentrer davantage là-dessus.

A Londres, par exemple, j’ai décidé que nous ne travaillerons plus du poulet des Landes, c’est évident. Nous travaillerons un poulet d’une production plus locale. C’est une évolution logique de nos métiers, le local et l’empreinte écologique doivent primer sur certaines appellations ronflantes. 

Vous avez effectivement un restaurant à Londres, rattaché à l’hôtel The Connaught, ainsi que deux adresses parisiennes. Les types de cuisines diffèrent-ils selon les pays ? 
La philosophie de cuisine est la même. Les producteurs peuvent changer et cela a une influence sur le goût évidemment. C’est une donnée dont nous allons devoir encore plus tenir compte désormais, car nous voulons privilégier la production locale. L’interprétation peut être différente ceci dit. Mais au fond, je laisse mes collaborateurs travailler et expérimenter ; je veux qu’ils s’expriment également. Au final, la philosophie et la démarche de base restent assez similaires, peu importe le pays. Aujourd’hui les frontières sont plus perméables entes les différentes cuisines, les influences ...

Comment définiriez-vous votre ADN ? Peut-on dire que c’est avant tout la cuisine du Sud-Ouest, d’où vous êtes originaire ? 
Je travaille effectivement les produits de ma région, de mon terroir, mais ma cuisine n’est pas une cuisine du Sud-Ouest, c’est une cuisine d’auteur très personnelle. La cuisine du Sud-Ouest, comment la définir ? Je dirai qu’elle est très généreuse, très conviviale, elle cherche à faire plaisir, c’est également une cuisine qui se partage. C'est une terre tellement riche, que ce soient par les produits de la terre, les produits de l'élevage, les produits de la mer… C'est un champ d'expression immense que celui où j’ai découvert mon métier.

Il y a toujours un plat, un souvenir d’enfance, qui nous accompagne particulièrement… Lequel serait le vôtre ?
Pour moi, c'est le poulet rôti. C'est tout simple, mais avec des grosses pommes de terre, des grosses frites à la graisse de canard, ça, c'est vraiment ma madeleine de Proust.

Il parait que vous écrivez beaucoup…. 
Oui, mais pas assez. J’espère que je vais avoir le temps de m’y remettre sérieusement. J’ai écrit un livre, juste après le premier confinement, qui s’appelle « Chez Moi », on est en train de préparer le second. Pour moi, ça n’est pas vraiment de l’écriture à proprement parler, car il s’agit finalement de listes de recettes ; il y a du partage mais le travail est différent. Ecrire comme j’ai pu écrire certains autres livres, cela prend beaucoup de temps…

Quand j’étais très jeune, je tenais un journal. J’ai fait ça très longtemps, et puis un jour j’ai enterré tous mes carnets dans la forêt landaise … Ils ont dû être mangés par les vers (rires). Mais je travaille actuellement sur un livre, que j’ai fait lire à quelques éditeurs qui étaient assez enthousiastes. Il faut que je trouve le temps de m’y remettre ; c’est toujours le temps qui nous manque. Je travaille en effet beaucoup et j’essaye de faire le mieux possible pour jongler entre les restos, les projets et ma vie de famille. Je le fais parfois au détriment de mon calme, de ma santé, du temps que j’ai pour moi. J’y arrive aussi parce que j’ai des collaborateurs qui me sont d’un grand secours, qui sont là depuis longtemps et qui me connaissent parfaitement. Cela facilite grandement les choses et fait gagner beaucoup de temps, je leur dois beaucoup.

Instagram et les réseaux sociaux sont devenus un canal de communication essentiel pour la plupart des chefs. Quel est votre rapport à ceux-ci ? 
Je suis partagée. Quand j’ai commencé mon compte Instagram, c’était principalement pour raconter un peu nos journées à mes parents, que je ne vois pas assez malheureusement. Je mettais souvent des photos de mes filles, c’était vraiment dans le but de leur donner des nouvelles. Et je me suis finalement prise au jeu.

Aujourd’hui, je le fais toujours en m’amusant, je mets beaucoup de moi dedans, je le fais comme si c’était toujours uniquement destiné à ma maman et à mes proches. Mais je constate aussi la portée que cela peut avoir en termes de communication et d’image, ce qui peut aussi être parfois assez dangereux. J’ai récemment posté des photos de terrines de foie gras que nous étions en train de travailler en cuisine, et cela a heurté beaucoup de gens et les réactions sont assez virulentes. Cela nous rappelle qu’il faut toujours faire attention à ce que l’on poste. 

On se demande toujours où aiment manger les grands chefs. Avez-vous en tête un diner particulièrement mémorable ?
J’en ai plusieurs. Lorsque j’ai commencé à travailler chez Monsieur Ducasse, au Louis XV, à Monaco, mes parents m’avaient accompagnée et nous y avions dîné, c’était sublime ! Je me souviens aussi d’un dîner avec deux de mes collaborateurs au Mexique, chez Pujol, à Mexico City.

J’ai été bluffée par l’engagement du chef dans la culture de son pays. Mais un dîner dont on se souvient, c’est souvent de la convivialité : il y a également des repas en famille tout simples et qui me sont pourtant tout aussi mémorables. A Noël, par exemple, j’ai cuisiné à mes parents un plat de ris de veau, boudin blanc, sauce Arbois et truffe noires. C’est un moment entre nous qui restera aussi dans les souvenirs. 

Alors que les chefs dominent les guides gastronomiques, on sait que dans la plupart des traditions, la cuisine est une affaire de femmes, ce sont elles qui assurent la transmission… 
Chez moi, c'est le cas. Même si mon grand-père a été un grand chef, tout comme mon père et mes oncles, j'ai l'impression d'avoir plus appris de mes grands-mères et de ma maman. Dans ma façon de cuisiner, en tout cas, elles m’ont appris qu’au-delà de la technique ou des recettes, il y a une volonté de donner de l'amour et du bonheur.

J’ai aussi eu la chance de connaître la mère italienne d’un des chefs qui travaillait avec moi chez Monsieur Ducasse, elle m’avait prise en affection et m’a transmis plein de trucs, sa vision, j’ai beaucoup appris de cette mère. De manière générale, j’ai beaucoup appris des femmes et j’essaye à mon tour de transmettre cet amour et ce bonheur à mes filles, qui ont 11 et 13 ans… On verra si cela prend.

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