Les lunettes low cost, peut-on s’y fier ?

Jimmy Fairly, Ace & Tate, Polette… De plus en plus de marques d’optique proposent des paires de lunettes branchées à moins de 100 euros. Des trublions qui font la joie des amoureux de la fast fashion, moins celui des grands opticiens.

PAR JUSTINE ROSSIUS. PHOTOS D.R. |

En automne 2017, le label néerlandais Ace & Tate débarquait rue Dansaert, à Bruxelles, avec une offre fracassante: des lunettes stylées, à moins de 100 € pour un modèle standard, verres inclus. Sachant que le prix moyen pour une monture et des verres revient à 300 € en Belgique, le concept a forcément séduit les myopes aguerris. L’entreprise néerlandaise n’est d’ailleurs pas la seule à jouer les H&M de l’optique. Polette et Jimmy Fairly, deux griffes françaises, proposent également depuis quelques temps des paires qui ne coûtent plus les yeux de la tête.

Le business model de ces trois nouveaux acteurs ? Sensiblement identique : ils s’affranchissent des intermédiaires en gérant tous les maillons de la chaîne, des premiers dessins de la monture à sa production puis distribution finale. Fatalement, les coûts en sont considérablement réduits, puisque les revendeurs classiques font eux habituellement appel à l’intervention d’opticiens ou se fournissent eux-mêmes chez un verrier. Sans oublier que le marché de l’optique “low cost” se déroule généralement en ligne. Avantages : peu ou pas de stock dans les showrooms, où la manutention est réduite au minimum. Même le montage des verres se déroulent souvent hors boutique, ce qui permet de réduire une fois encore le coût de revient, et donc le prix affiché.

Montures Ace & Tate, 98 €... Mais la médaille a son revers.

Vers plus de transparence

Sauf que cette différence, l’administrateur délégué d’Alain Afflelou, la nuance. Selon Frédéric Poux, les prix de ces produits - de 12 à 99 € la monture - ne seraient en effet que poudre aux yeux: “C’est du teasing! Au final, quand on ajoute les garanties, les frais de port, les options, etc., le panier moyen revient à plus de 100 €.” Pas tout à fait faux: l’offre basique de ces marques ne comprend en effet ni verres antireflets ni affinement de la monture par exemple. Le “full options”, en revanche, fait gonfler la note de quelques dizaines d’euros. Il n’empêche, le marketing semble parfaitement fonctionner: en quatre ans d’activité, Polette a par exemple déjà réalisé plus de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et son modèle économique semble couler de source, comme le rappelle le site de la marque : « En sortie d’usine, une paire de lunettes coûte entre 6 € et 10 €. Alors pourquoi les acheter 300 €? »

Solaires Afflelou. Les lunettes, simples accessoires interchangeables ?

Entre 6 et 10 €, la paire ? Oui, parce qu’il faut le préciser une bonne fois pour toutes : dans le secteur de la monture, toutes les marques produisent en Chine. Même les plus grandes. Et si le prix d’usine est multiplié par 20 ou 30, c’est après que la griffe de luxe y soit apposée, sans oublier la marge que prélèvent grossistes et revendeurs. Sauf que “toutes les marques ne produisent pas en Chine de la même manière », rappelle Johanna Viejo, directrice et administratrice déléguée de Kinto, marque optique belge. “Vous pouvez aussi y choisir le niveau de confort social de vos employés. Comme dans le textile, le prix se paye forcément dans leurs conditions de travail." Un écart social présumé auquel s’ajouterait celui de la qualité: "Chez Kinto, nous utilisons des charnières réparables et des matériaux qui ont un coût de revient plus élevé. Mais ces différences, seul un professionnel peut les évaluer à leur juste valeur".

Frédéric Poux surenchérit: “Le consommateur n’a pas forcément les moyens de juger de la qualité de verres transparents. Et pourtant, il y a un monde entre un verre injecté de base, en matière plastique, et celui issu des meilleurs laboratoires, qui sont anti-rayures, anti-pluie, anti-ultra-violet… Ce n’est tout simplement pas le même produit! Chez Afflelou, les opticiens passent en moyenne 1 h 30 à vendre et monter une paire de lunettes. Un travail qu’il est impossible de rémunérer correctement si le produit est vendu 20 €.”

Chez Kinto, label belge, les finitions sont maison. Une attention qui a un prix.

Des lunettes pour être vu

Reste que cette hypothétique différence de qualité n’inquiète pas les nouveaux venus de l’optique. Au contraire, car s’il y a bien une réalité que ces start-ups ont comprise (à moins qu’elles ne l’aient elles-mêmes instaurée), c’est que les lunettes sont devenues de vrais accessoires de mode, dont les fashionistas changent tous les six mois. “Avec la démocratisation des lunettes, on peut aujourd’hui assortir sa paire à son look à très peu de frais", confirme Sandra Herzman, styliste. "Elles sont un attribut supplémentaire, leur permettant de se démarquer. Comme le bijou. D’ailleurs, de plus en plus de personnes portent des montures sans verres correcteurs….". Le concept semble donc promis à un bel avenir. À moins qu’une nouvelle évolution ne torde le cou à la précédente ? Le modèle qui a de l’avenir, c’est le « figital » souligne Frédéric Poux, soit la contraction de physique et digital.

"Le site d’Afflelou propose par exemple aux clients d’essayer virtuellement les lunettes. Et courant 2018, ils pourront recevoir les montures par la poste pour les essayer à la maison". Dans ce nouveau marché, les chaînes et opticiens traditionnels tentent donc de se réinventer, afin d’asseoir leur expertise. “L’avantage des opticiens indépendants, c’est qu’ils connaissent leur clientèle. Face au choix démesuré des Primark de l’optique, ils peuvent proposer des sélections plus pointues", insiste Johanna Viejo. "On est dans le domaine du paramédical et il est hors de question de considérer les lunettes comme un gadget", rappelle Frédéric Poux. Quand on sait que les problèmes de vue sont la plus grande cause d’échec scolaire, l’achat de nouvelles montures est un acte qui doit être pris au sérieux.