Aujourd’hui, on s’attaque à du lourd : le normcore. Contraction de “normal” et de “hardcore”, ce mot désigne donc le fait d’être, comment dire... extrêmement normal. Pas juste normal, non non : bien plus normal que ça. On se souvient du sketch de Coluche qui se moquait des lessives lavant “plus blanc que blanc”, eh bien ici nous avons affaire à des gens aspirant à être “plus normaux que normaux”. Vous croyez me voir venir, vous pensez que je vais me moquer, et pourtant, loin de moi ; il serait de mauvais aloi de stigmatiser qui que ce soit, en ce compris les personnes normcore, donc je propose de me pencher sur ce concept, plutôt que de m’abriter derrière des sarcasmes convenus.
Normcore est un mot assez nouveau, qui désignait à l’origine un mode de vie, plus que des vêtements. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée, mais dans les deux cas, les mêmes questions se bousculent dans mon esprit : comment diable être encore plus normal que normal, sachant - vous avez saisi le paradoxe - que le concept même de normalité implique de ne pas sortir du lot ? En fait, c’est tout simple et plutôt reposant : il faut veiller scrupuleusement à n’arborer aucun signe particulier, de quelque ordre que ce soit. Mais attention : sans que cela ne fasse de vous quelqu’un de terne ou de quelconque... Puisque, et nous en arrivons ici à toute la finesse du concept, l’idée est de trouver une libération dans l’indistinction. De revendiquer l’idée de ne rien revendiquer, si vous voulez. Bref, d’afficher fièrement sa volonté de neutralité.
La nuance entre normal et normcore est donc la suivante : la personne normale est juste normale, tandis que la personne normcore tient à faire savoir qu’elle est normale, ce qui n’est pas du tout pareil. Ce qui nous amène à cette question vertigineuse : qu’est-ce qu’être normal, au fond ? Personne n’est tout à fait normal, nous sommes d’accord ; chacun a ses spécificités, mais disons pour faire bref qu’est normal, ce qui n’étonne pas. Or, catastrophe : le normcore étonne ! Serait-ce tout le concept qui s’effondre ? Eh bien non, puisque le normcore réussi ne se voit pas. Disons donc, pour mettre tout le monde d’accord, qu’un adepte du normcore s’habille comme une personne normale, mais qu’il le fait en réaction aux excentricités vestimentaires qu’on peut trouver dans les magazines de mode, là où la personne normale ne fait pas autant de détours pour s’habiller de la même manière. Je sais, il faut suivre. Mais il serait dommage de laisser filer le train de la modernité.
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