Rencontre avec Bas Smets, l'homme qui va reverdir le parvis de Notre-Dame de Paris

L’architecte paysagiste belge a été choisi pour reverdir le futur parvis de Notre-Dame à Paris. Grand observateur de la nature, il s’évertue à comprendre celle-ci. Parce que, tout simplement, c’est elle qui a raison !

PAR AGNÈS ZAMBONI. Crédit photo : Belga |

En quoi consistera votre projet autour de la cathédrale Notre-Dame à Paris ?

Il y avait eu un projet dans les années 1970, dont le président François Hollande avait reparlé. Mais, là, après l’incendie, le dossier a été rouvert. J’ai gagné le concours grâce à mon projet arlésien. Mais nous n’avons pas participé pour gagner. Mon équipe s’est concentrée sur ce qu’on avait envie de faire et a travaillé sur le climat, l’espace public, le collectif et la ville du XXIe siècle : comment rendre la ville résiliente ? Comment faire passer le vent rafraîchissant jusque sur le parvis brûlant, en plein été ? Comment éviter les files d’attente des touristes, dans la fournaise ? Le parvis, comme une forêt de pierre, s’ouvrira sur une forêt moins urbaine, un parc de 400 m de long, une clairière entourée d’arbres. Il sera rafraîchi par une lame d’eau d’inspiration japonaise, une sorte de miroir d’eau éphémère. L’eau de pluie sera stockée dans les parkings et récupérée sur le parvis. Nous avons travaillé avec les agences GRAU & NG-Architectes pour transformer le parking en centre d’accueil. Nous avons aussi dessiné tout un parcours pour faire découvrir le chevet de l’église, peu fréquenté. Le chantier débutera en 2025, après les Jeux Olympiques.

Autour de Notre-Dame de Paris, il imagine une séquence d’ambiances climatiques établissant un nouveau lien avec la Seine et d’autres perspectives sur l’île. © Studio Alma pour le groupement BBS

Comment peut-on définir votre approche minimaliste ?

Dans mon travail, je ne cherche pas à rajouter, j’apprends à lire le paysage. Je n’ai pas de style, j’applique une méthodologie. Que ce soit à Hong Kong, New York ou Courtrai, c’est toujours la même méthode. Ce sont les clients ou le climat qui changent. “Le paysage, on ne le voit pas parce qu’il n’est pas dangereux”, explique le biologiste Stefano Mancuso, auteur de l’ouvrage L’Intelligence des plantes. On se concentre sur le danger, donc on ne voit pas le paysage. Dans la Bible, au moment du déluge, on a sauvé des animaux, mais pas de plantes. Pourtant, depuis les temps les plus anciens, elles nous nourrissent en transformant l’énergie solaire en aliments. Nous avons négligé tout ce qui est bon pour nous, tout ce qui est d’une importance capitale à notre survie. Il faut rendre la ville résiliente face au climat.

Qu’est-ce que l’urbanisme biosphérique ?

L’urbanisme biosphérique étudie l’environnement construit à la croisée entre la météorologie et la géologie. Il a pour objectif de faire face aux incertitudes qui pèsent face au changement climatique. Les villes sont responsables de la plupart des émissions de CO2 dans le monde. Tout en ayant une opportunité unique de combattre les causes
du changement climatique, elles doivent agir dans l’urgence afin d’en limiter les effets. Une ville se compose d’une séquence de microclimats car les bâtiments changent la direction des vents, la réflexion du soleil. À chaque modification du climat provoquée par l’homme, une situation comparable présente dans la nature peut être recherchée et étudiée. Suivant cette logique, la végétation est réintroduite afin de convertir les villes en de complexes systèmes éco-urbains, capables de générer de nouveaux microclimats ; donc, on peut changer le climat en intervenant sur le paysage.

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Devant cette urgence, pourquoi les architectes continuent-ils à être des stars et les paysagistes... des inconnus ?

Il y a deux raisons à cela. L’une provient des conséquences des deux guerres mondiales. Autrefois, on pensait selon des systèmes et on composait des ensembles et des projets complets ; on parlait de cités jardins où on intégrait la nature à l’habitat. On fonctionnait selon des idéalismes de vie. Après les deux guerres mondiales, un besoin urgent de construire des logements s’est fait sentir. Le modernisme a été le mouvement de gloire des bâtisseurs, de l’efficacité... L’Europe est aussi en rupture avec les autres continents. Aux États-Unis, la ville abordée par le paysage tel que Frederick Law Olmsted a conçu Central Park à New York, offre une vision très différente. Mais qui connaît Frederick Law Olmsted ? La seconde raison, c’est que l’homme aime les objets, les bijoux, les maisons, la consommation. Dans le paysage, il n’y a rien à acheter...

Comment définissez-vous la notion de paysage ?

“Le paysage est une façon de voir le pays”, a affirmé le philosophe et écrivain français Alain Roger. C’est un changement de conscience pour voir autrement la réalité. 100 % du paysage a été conçu par l’homme et aurait pu être différent. Le pays peut devenir un paysage à travers les yeux des artistes. En 2019, pour la commémoration des 450 ans de
la mort de Pieter Bruegel, j’ai fait une installation à Dilbeek, où il allait peindre. J’ai choisi les grands tableaux du peintre, comme Le Triomphe de la Mort, et j’en ai fait une relecture à la façon d’un vrai paysage. Bruegel créait de la perspective avec les arbres, il les plaçait en premier avec une perspective vers l’arrière. J’ai reproduit cette démarche avec une installation en bois mort (figurant des piloris). On a attiré les oiseaux, corbeaux et corneilles, avec des semences pour recréer un paysage réel. Ce travail, qui a fait l’objet d’une exposition à Bozar, montrait aussi la cruauté au Moyen Âge.

Que pensez-vous des façades végétalisées ?

Dans la ville, s’il y a de place, l’arbre planté est la solution optimale. Mais il faudrait supprimer des zones de stationnement, les voitures ou alors, privilégier le covoiturage ou les véhicules partagés. Lorsque la place manque au sol, les façades végétalisées sont une option, mais elles sont onéreuses à mettre en place et à entretenir. Leur instigateur français, Patrick Blanc, a reproduit en Europe, ce qu’il a vu en Malaisie. Il faut mettre beaucoup d’argent dans ce type de projet, comme cela a été fait pour la Fondation Cartier. On peut aussi travailler les plantes grimpantes, avec des systèmes structurels, comme je l’ai fait, sur 10 m de haut, à l’hôtel Mandrake londonien.

À Londres, des jardins suspendus occupent la cour centrale du boutique hotel Mandrake avec plus de 500 plantes grimpantes poussant dans les poutres en U des passerelles. © Adrien Foueré 

Pourquoi les villes sont-elles si carencées en nature ?

Dans les projets de paysage, on manque de véritable programme. Il faut rechercher un fondement plus important, la vocation d’un lieu. Avec cette nouvelle connaissance, on travaille sur une écologie urbaine. Il ne s’agit pas de revenir en arrière mais de ne pas continuer dans cette négligence. On peut le voir comme un drame ou comme une opportunité incroyable, mais aussi une expérimentation : oser faire autrement et même rater pour comprendre et ensuite réussir. On ne pense jamais l’urbanisme
à l’échelle géologique. Il faut repenser la cité comme une interphase entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, comme une matière. On a imperméabilisé la ville alors qu’il faut qu’elle devienne une matière vivante.

Dès lors, comment faire ?

Il faut travailler l’urbanisme des sous-sols pour créer des zones de service et libérer la terre. Il faut stocker l’eau où elle tombe. L’urbanisme doit devenir une nouvelle nature. Construire des parkings, des trottoirs, de nouvelles rues, cela n’a plus de sens. Il faut utiliser la force de la nature, plutôt que de la contraindre, pour créer un espace hybride et joyeux. Les hommes doivent changer, pas la nature. Il y a une urgence nationale pour planter des arbres pour notre survie. Alors qu’autrefois, on expropriait pour une autoroute, on devrait aujourd’hui exproprier pour planter des arbres. Les cinquante aulnes plantés sur une dalle hors sol en double épaisseur culminent aujourd’hui à 12 m de haut, dans le quartier de La Défense, à Paris.

Pourquoi vos réalisations font-elles l’éloge de l’arbre ?

L’arbre est un être fabuleux. Il est le symbole de la transformation de la vie. Il cache son intelligence dans ses racines qui sont ses neurones. Écrivaine et écologiste, la Canadienne Suzanne Simard a prouvé que les arbres communiquaient entre eux et pratiquaient des échanges de minéraux. Une plante est plus intelligente qu’un animal. Elle est capable de transformer un lieu. La biosphère, c’est l’ensemble des êtres vivants et ceux vivant autrefois, c’est à dire les fossiles... On habite finalement plus l’atmosphère que la Terre.

Sur le parvis de Saint-Gilles, à Bruxelles, une promenade façon oasis avec des arbres et des bancs. © Michel De Cleene

Quelle a été, à ce jour, votre plus belle victoire ?

À Arles, à la fondation Luma, on a poussé très loin l’expérimentation. J’ai suivi le chantier et vécu là-bas pendant la construction. On a inventé des nappes phréatiques, des systèmes de récupération des eaux sur une dalle en béton. Là-bas, il n’y avait ni terre, ni eau. Le climat est semi-désertique, le mistral souffle et la moyenne des températures flirte avec les 40° degrés, en été. On a creusé dans le rocher nu où rien ne poussait. On a imaginé que le vent allait sculpter un paysage de dunes... On a imité la nature et introduit 80 000 plantes qui ont produit un microclimat. La température est descendue de 20 degrés, en passant de 45 ° à 25 °. Les oiseaux sont revenus et l’espace s’est transformé en un parc luxuriant et vivant dont tous les Arlésiens peuvent profiter. En changeant le climat, 36 espèces vivantes ont été réintroduites naturellement sur le site. Pour moi, Arles est une sorte de laboratoire complet et complexe. Ces conquête et reconquête des plantes et des animaux m’ont enseigné qu’il est possible de recréer un microclimat urbain, avec un système de micro-refroidissement naturel. Le plaisir est aussi esthétique : nous avons reconstitué une nature-paysage hybride inspirée des Alpilles et de la Camargue, une des régions les plus riches en biodiversité du monde.

Pensez-vous être un précurseur ?

J’ai eu l’intuition, il y a quinze ans, de ce qu’il fallait faire mais, aujourd’hui, on pousse plus loin les expérimentations, grâce aux progrès scientifiques. Il existe des satellites qui lisent les îlots de chaleur. Mon premier projet climatique, Sunken Garden à Londres, date de 2010. À cet endroit, j’avais pressenti un microclimat. Nous avons planté des arbres de sous-bois qui n’auraient jamais pu survivre de l’autre côté de la rue. Mais dans cette cour dotée d’un microclimat, ils poussent depuis plus de dix ans. Cette forêt tropicale de 32 m2 m’a permis de comprendre l’existence du microclimat que j’ai, des années plus tard, recréé à Arles. J’avais compris le potentiel du lieu.

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