Rita Baga, la drag queen engagée qui bouscule les codes et brise les clichés

En tête de l'émission Drag Race Belgium, Rita Baga a répondu à nos questions.

Par Sigrid Descamps. Photos : Philippe Daaboul sauf mentions contraires |

Une femme ne peut pas devenir une drag queen

Faux. C’est sans doute le cliché le plus tenace. Il y a eu beaucoup de lumière sur les drag queens interprétées majoritairement par des hommes cisgenres, dont le sexe biologique correspond donc à celui qui leur a été assigné à la naissance. Dans l’imaginaire collectif, on associe automatiquement une drag queen à un homme, né homme, qui se transforme en femme, alors qu’être drag, cela n’a rien à voir avec ce qu’on a dans la culotte ou dans la tête. Tout le monde peut faire la drag, même une femme. Et une femme ne va pas nécessairement devenir un drag king (se transformer en homme donc, NDLR), elle peut se changer en drag queen ou même en drag thing (style de drag qui dépasse le genre avec l’incarnation de clowns, de créatures, d’animaux ou même d’objets, NDLR).

En vidéo, retour sur son parcours fascinant :

Dans le même ordre d’idée, les drag queens sont forcément des homosexuels…

Faux. On trouve effectivement beaucoup de monde issu de la grande communauté de la diversité sexuelle et de genre. Mais de nombreux hétérosexuels pratiquent également l’art de la drag. On en a d’ailleurs vu dans l’une des dernières saisons de RuPaul’s Drag race.

Les drag queens se partagent une grande garde-robe commune

Faux. C’est un des autres grands clichés courants : on pense que l’on partage des grandes loges, avec de grands dressings, où l’on se sert toutes à volonté. En réalité, les drag queens s’organisent par elles-mêmes pour s’habiller. C’est un projet individuel. Maintenant, il existe des réseaux où les artistes revendent ou donnent des tenues qu’ils ont portées.

 

Être une drag queen, cela coûte cher !

Vrai. On ne part pas toutes sur la même ligne de départ. Pour certaines, les débuts peuvent être très difficiles à cause des frais que cela occasionne. En outre, cela prend parfois du temps avant que vivre de son art devienne rentable. Construire sa garde-robe coûte très cher. Tout ce que nous portons a été acheté ou fabriqué. On peut trouver des tenues toutes faites ou de seconde main, mais si on veut du sur-mesure, les prix grimpent. On monte vite entre 500 et 2 000 dollars pour une tenue. À ce jour, au bout de quinze années de drag, la valeur de ma garde-robe atteint les six chiffres. Beaucoup de reines ont appris à coudre pour réduire leurs frais. Ajoutez encore à cela, les accessoires : les chaussures, les bijoux, les bourrures (pour renflouer les fesses et les hanches notamment, NDLR.), les collants spéciaux, les perruques… Une perruque simple peut coûter jusqu’à 500 dollars. Si vous voulez la travailler, il faudra encore ajouter de 100 à 600 dollars selon l’artiste capillaire qui s’en occupe. Les frais de maquillage sont également conséquents.

Les drag queens sont mieux acceptées qu’avant

Vrai. Nous avons profité d’une mise en lumière, notamment grâce à l’émission de RuPaul et ses spin-off, qui fait que nous sommes mieux comprises que par le passé. L’existence de toutes ces déclinaisons est d’ailleurs une grande avancée. J’ai fait de ce que j’appelle la démocratisation de la drag, mon combat. Mon objectif est de sortir cette discipline de l’ombre, de la rendre accessible au plus grand nombre, de rendre cette forme d’art plus participative dans la société, qu’elle s’intègre dans le “vivre ensemble”. Il reste du boulot bien sûr, mais notre art est mieux perçu, nous sommes moins pointées du doigt. Je me souviens, il y a encore une dizaine d’années, avoir parfois été très mal accueillie lorsque j’arrivais pour animer une soirée privée, l’anniversaire d’un entreprise par exemple. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le monde n’est pas devenu rose pour autant… La haine existe hélas toujours. La peur est souvent guidée par l’ignorance et l’incompréhension. Pour lutter contre cela, il y a donc un effort collectif à faire. Les reines attendent des autres qu’ils les comprennent, mais à elles aussi, de ne pas se braquer devant leurs peurs ; c’est dans l’échange et l’écoute, la bienveillance, qu’on arrive à renverser les barrières.

Toutes les drag queens sont toutes sympas et drôles

Faux (elle rit). Ce n’est pas le cas ! C’est un cliché facile à corroborer en Belgique et au Québec : chez vous comme chez nous, les drag queens – en tout cas, celles que je connais - sont effectivement fort sympathiques et souvent, très drôles. Mais ce n’est pas un prérequis et comme partout, on trouve dans notre communauté des gens nettement moins agréables. Je compare souvent notre milieu avec celui de l’humour, où il y a clairement des humoristes qui sont vraiment drôles et sympas dans la vie, et d’autres… Heu, eh bien, pas du tout ! (Rires)

Les drag queens sont forcément des personnes brisées...

Faux. Beaucoup ont connu l’incompréhension et le rejet et ont trouvé dans la communauté une seconde famille. De là à penser que tous ses membres souffrent de grosses fêlures, c’est heurtant. Le pourcentage de personnes blessées ou mal dans leur peau n’est pas plus élevé dans l’univers drag qu’ailleurs.

Les drag queens vivent dans leur bulle et leurs sujets de conversation sont superficiels...

Faux. (Elle sourit) C’est un cliché persistant qui m’amuse. Le milieu des drags est souvent associé au monde de la nuit, que l’on croit – à tort ! – peuplé de gens qui ont moins d’éducation que les autres. Or, la plupart des artistes drag ont un degré d’éducation élevé. J’en connais même plusieurs qui ont suivi de hautes études. C’est notamment mon cas (sous son costume, Jean-François Guevremont est bachelier en relations humaines et maître en gestion et développement du tourisme, ndlr). J’aime d’ailleurs le rappeler en boutade, quand on me demande de faire une lecture publique par exemple, je réplique généralement : Je suis universitaire, donc oui, je sais lire un texte, merci ! On voit lors de soirées, des clients qui sont persuadés qu’on vit dans une bulle. On doit leur rappeler que ce n’est pas le cas, que nous avons une vie, que nous lisons les journaux, que sommes connectées et que nous sommes bien au courant de l’actualité. Lancez-vous dans une discussion sur un sujet sociétal ou politique avec des reines, vous risquez d’être surpris ! (Rires)

Drag Race Belgique, sur auvio, sur Tipik les dimanches à 22 h.

Retrouvez-le en librairie en supplément gratuit du journal Le Soir ou en version numérique sur https://journal.lesoir.be