Sidi Larbi Cherkaoui, le chorégraphe belge qui sublime la comédie musicale Starmania

Le comédie musicale Starmania a remporté ce lundi 24 avril deux Molières. Les chorégraphies ont été imaginées par le Belge Sidi Larbi Cherkaoui, figure de proue de la danse contemporaine. Le directeur de Ballet du Grand Théâtre de Genève multiplie les projets, alternant, parfois fusionnant, le pointu et le populaire. Portrait d’un artiste qui allie talent et humanisme, timidité et générosité. 

Par Sigrid Descamps. Photo d'ouverture : Joris Casaer |

Du dessin à la danse, un parcours hors norme

Fruit des amours d’un immigré marocain et d’une Flamande, Sidi Larbi Cherkaoui a, de son propre aveu, découvert la danse tardivement, en autodidacte. « Mes parents travaillaient dur et la vie d’un couple mixte n’était pas aisée à l’époque. Quand ils avaient besoin d’une pause, ils mettaient de la musique et on dansait tous ensemble… J’ai toujours associé la danse à des moments de paix, de plaisir... Pourtant, longtemps, très introverti, c’est dans le dessin que j’ai trouvé refuge. Ce n’est que vers 15 ans, que j’ai découvert la danse. Je reproduisais ce que je voyais dans des clips. Avec des potes, on participait à des concours. C’est comme cela qu’à 17 ans, j’ai été recruté par la télévision, où j’ai rencontré des professionnels qui m’ont poussé à suivre des cours pour acquérir de la technique. A 19 ans, j’ai gagné un concours organisé par le chorégraphe Alain Platel, qui m’a permis de rencontrer des personnalités comme Wim Vandekeybus et Meg Stuart…et de découvrir la danse contemporaine. J’ai ensuite rejoint le conservatoire de danse puis, l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker, P.A.R.T.S. J’ai dansé durant plusieurs années pour Alain Platel aux Ballets C de la B. C’est lui qui m’a poussé à devenir chorégraphe. J’ai enchaîné les créations et collaborations, travaillé à la Toneelhuis, créé ma propre compagnie, Eastman, dirigé le Royal Ballet of Flanders… Et aujourd’hui, je dirige le Ballet du Grand Théâtre de Genève, tout en poursuivant divers projets en parallèle. »

La vidéo du jour : 

Tokyo, Genève, Anvers…

« Lorsque nous joignons l’artiste, il se trouve à Tokyo, où il enchaîne les projets depuis plus de vingt ans. « J’y viens aussi bien pour travailler sur des spectacles et en créer que pour collaborer avec des marques de vêtements, explique-t-il. Je me sens bien au Japon, car ils cultivent l’art du faire et le savoir-faire, ils sont perfectionnistes et mus par l’envie d’aller au bout des idées ; cela me correspond. » Sans cesse en mouvement, le chorégraphe était, quelques jours plus tôt, à New York, bossant avec Madonna sur le Celebration Tour, et le 12 mai prochain, il sera à Bruxelles, pour la première de Starmania chez nous. « Mon métier m'amène partout dans le monde ; je travaille tout le temps sur plusieurs projets de front, avec chaque fois, des équipes sur place, mais je veille à être moi-même présent aux moments importants. Cela demande une sacrée organisation. » 

Son point d’ancrage ? 

« Ce fut longtemps la Belgique, et Anvers, où j’ai toujours ma maison, mais depuis deux ans, je réside surtout à Genève. J’adore vivre là-bas. En Belgique, j’avais parfois la sensation – de par ma double culture – d’être un étranger alors que je suis belge : je suis né à Anvers, j’ai un accent anversois prononcé (rires), je parle néerlandais, français, je paie mes impôts en Belgique… Et pourtant, régulièrement, à cause de mes racines marocaines, dont je suis fier et qui me nourrissent tout autant, certaines personnes remettent ma belgitude en doute. Enfant, on me demandait parfois si je préférais la Belgique ou le Maroc ; c’est comme demander à un gamin s’il préfère sa mère ou son père, c’est horrible. Ce sont les mêmes gens qui me remettaient en cause quand j’étais directeur du Royal Ballet of Flanders. Ces attaques sur mon identité sont chaque fois déchirantes. En Suisse, paradoxalement, je trouve agréable d’être expatrié. Ma double culture n’est pas un souci là-bas ! » 

Et de nous inciter à lire Les identités meurtrières d’Amin Maalouf. « Ce livre m’a bouleversé ; il dépeint avec finesse la notion d’identité, expliquant que l’on peut être plusieurs choses à la fois et comment on peut réagir quand on nous attaque sur notre partie la plus vulnérable. » La leçon que lui-même en tire ? « Subir des attaques à cause de mes « différences » - parce que je suis à moitié marocain, mais aussi homosexuel – cela m’a conduit à être hyper attentif à la sensibilité d’autrui, je veille à ne pas heurter les gens. Je ne veux à aucun moment ressembler à ceux qui m’ont moi-même blessé. »

L’une de ses forces ? Sa timidité !

« Je suis extrêmement timide. Par contre, une fois que j’ai un objectif clair, la peur me quitte et je deviens ultra motivé, je fais tout pour mener le projet à terme, dans le cadre de mes créations propres comme des collaborations avec d’autres artistes. J’ai besoin de challenge, je me sens à ma place quand je suis en train de résoudre un problème, quand je dois trouver la meilleure façon de mettre les choses en forme… Pour moi, chorégraphier, c’est ça : organiser, donner du sens à ce qui n’en a pas toujours… Je compare toujours cela avec ma passion pour les puzzles (rires). »

Quand on lui demande si, au fond, ce n’est pas sa timidité qui l’a poussé à devenir si perfectionniste, il approuve : « Elle vous pousse à prendre du recul, à vous remettre en question. Cela m’aide à ne pas être trop impulsif par exemple. Quand on est timide, on prend le temps de regarder les choses dans leur ensemble, de capter le sous-texte. Maintenant, il m’arrive également de me laisser guider par mon instinct et ça marche aussi (rires). Je navigue en fait tout le temps entre les deux. Je ne pense pas qu’une approche soit meilleure que l’autre. Je crois par contre qu’il faut apprendre à savoir quelle voie emprunter et quelle énergie utiliser, et à quel moment. Cela vient avec le temps. Tout comme le fait d’apprendre à s’adapter au tourbillon de la vie, aux obstacles qu’elle peut mettre sur notre route… ça nous oblige à réfléchir, à devenir meilleur pour les surmonter ! »

Starmania, l’évidence

« En tant que porteur d’une double culture et qu’homosexuel, j’ai manqué de modèles. A 12 ans, j’étais persuadé d’être le seul ado au monde attiré par les garçons. Il n’y avait de représentation concrète et acceptable de deux hommes en couple. Et puis, j’ai découvert Starmania. La chanson Ziggy, un garçon pas comme les autres, écrite par Luc Plamondon et Michel Berger, a été un choc pour moi, ça m’a parlé. Je suis persuadé que ce titre a changé, voire sauvé, des vies. Quand on m’a proposé de rejoindre l’équipe artistique pour la nouvelle version du spectacle, j’ai dit oui tout de suite. »

Danse et cinéma

Parmi les autres modèles belges à pointer pour les jeunes (et moins jeunes) aujourd’hui : Adil et Bilall et Lukas Dhont, des cinéastes avec qui Sidi Larbi Cherkaoui a collaboré. « Avec Rebel, les premiers ont abordé un sujet tabou, complexe : l’embrigadement des jeunes par l’Etat islamique. J’ai aimé leur façon de montrer la tragédie que cela représente pour les familles touchées, mais aussi l’implacable logique avec laquelle le radicalisme –  et cela concerne toute forme de radicalisme – se met en place si l’on ne prend pas garde. Quant à Girl, le travail effectué par Lukas m’a permis de mieux cerner la réalité des personnes transgenres. Je suis convaincu que l’art, que ce soit le cinéma, la danse, la musique, le théâtre… sert à interpeller, à partager des visions du monde, à aider à mieux le comprendre, à combattre les préjugés... Et cela, aussi bien via des oeuvres populaires que des créations plus pointues. »

Homme à femmes

« J’aime être au service d’autres artistes, notamment de femmes fortes comme Alanis Morissette, Lady Gaga, Beyoncé, Madonna… Consciemment, je suis attiré par elles car on vit dans un monde patriarcal et travailler avec des femmes qui ont le dernier mot, ça fait du bien (rires). Cela me permet de me reconnecter également avec ma part de féminité que j’ai dû souvent nier. C’est très motivant de travailler avec elles. Je comprends mieux aussi le fonctionnement des relations hommes-femmes. » 

Le talent ? Un travail d’équipe

Si son talent est loué, l’artiste refuse de récolter les lauriers seul. « Pour avancer, il faut savoir s’entourer des bonnes personnes, avec lesquelles on est en connexion. Il faut être à leur écoute – souvent, de bonnes idées viendront d’elles -, les soutenir également… On me dit souvent que je bosse beaucoup, trop. Je réponds toujours que ce n’est pas comparable avec la vie que je menais à 19 ans, où je suivais des études de traducteur la journée et travaillais le soir, parfois la nuit, mais où j’étais seul. Aujourd’hui, partout où je développe des projets, j’ai des équipes. Ce sont presque des vacances (rires). Je suis entouré de gens qui me soutiennent et que je soutiens. Je suis par exemple hyper attentif à la façon dont je vais aider de jeunes danseurs à développer leur talent. Cela ne vaut pas que pour moi : tous les gens talentueux que je croise ont derrière eux toute une équipe ! ».

Où voir le travail de Sidi Larbi Cherkaoui ?

3S, les 29 et 30 avril, 2, 3 et 4 mai à La Monnaie (complet, sur liste d’attente), lamonnaiedemunt.be
Starmania, du 12 au 14 mai à Forest National, du 19 au 21 mai au Zénith de Lille, starmania-officiel.com
Nomad, les 23 et 24 septembre au Cirque Royal, ticketmaster.be

Retrouvez l'intégralite de l'interview de Sidi Larbi Cherkaoui dans le So Soir de ce samedi 29 avril.

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