Willem Hiele : l'expérience culinaire à vivre au moins une fois dans sa vie

Il y a des coups de fourchette qui vous suivent plusieurs jours après, des moments de gastronomie que l'on se remémore avec beaucoup d'acuité. Cette adresse au milieu de nulle part (ou en plein coeur de tout ?) est l'un de ces moments-là. 

Par Camille Vernin, Photo : Willem Hiele |

Au bout d'un long sentier éclairé bordé de trognes, au sein d'une maison aux allures de bunker nichée au milieu des polders, on découvre le nouveau resto éponyme du chef Willem Hiele. Le cuistot flamand à la réputation rock'n'roll a abandonné sa maison de pêcheur à Coxyde fin 2021. C'est dans cet établissement qu'il avait décroché sa première étoile Michelin, mais aussi une place parmi les 100 meilleurs restaurants du monde. Il lui a choisi à la place un nouveau petit bijou d'architecture brutaliste imaginé par Jacques Moeschal dans les années 70. Ce véritable blockhaus tout de briques vêtu s'élève, imperturbable, au sein de la réserve naturelle De Keignaert à côté d'Ostende.

L'Air Du Temps, le restaurant étoilé du chef San Degeimbre : 

Sensiblement underground

Une rudesse de façade qui tranche avec la délicatesse et le minimalisme des lieux. Entre force vive et sensibilité. Là se trouve toute la bipolarité du chef dont les énergies fusionnent et se dissocient constamment jusqu'à atteindre l'équilibre. À l'image de la nature finalement, première muse de l'artiste. Entre rythme de la mer et feu ardent, entre puissance et finesse, Willem Hiele tente de dompter les éléments. La genèse de ce libre-penseur des temps modernes remonte à 15 ans, lorsqu'il part en Nouvelle-Zélande avec des bouquins sur les poissons et sur les herbes sous le coude. Avec ses potes, il cueille ce qu'il trouve, mange par terre, dort au bord des rivières. Une sensation de liberté que le chef décidera de ne jamais quitter, et qui guidera désormais sa cuisine au feu. C'est là-bas aussi qu'il découvre le "hangi", un mode de cuisson ancestral pratiqué par les Maoris.

Passage obligé par la cuisine pour accéder à la salle de restaurant. On y admire le monumental four ouvert alors que s'active une brigade juvénile, mixte et en décontraction suprême (à base de casquettes à l'envers et de vieilles Air Force). Ce qui frappe, c'est l'affranchissement total avec lequel est organisé le service, les assiettes, le décor, l'atmosphère. Adieu l'aspect "collet monté" trop longtemps assigné au resto gastro ou étoilé. Ce qu'on aime surtout, c'est la présence discrète mais omniprésence du chef. Grand de deux mètres, massif, un brin goguenard, il vous présente à table une casserole en cuivre monumentale dans laquelle s'apprête à être cuit un turbot péché le jour même. Une façon de dire : "regardez comme c'est simple, il n'y a rien besoin de plus". Si seulement...

Atteindre l'umami

Là se trouve tout le géni de ce cuisinier pêcheur au style très personnel : la simplicité comme un retour aux sources. C'est locavore, zéro chichis, 100% feeling, un brin underground, et pourtant, le restaurant est considéré comme l'un des meilleurs du pays. Gustativement, on vit une fable unique de bout en bout. Inutile de prendre le temps, il s'est figé. Le menu unique (auquel on ne peut pas toucher), propose une vingtaine de services. Un show complet dans lequel la surprise et le plaisir se reitèrent dans presque chaque assiette. Les moules farcies aux cèpes et châtaignes, séchées et fumées comme de la viande sont fascinantes. L'umami dans tout son éclat. Une salade a priori très boring propose d'expérimenter l'équilibre parfait des saveurs avec ses daikon marinés, ses vongoles, son vinaigre de fleurs de sureau, ses bigorneaux et ses cacahuètes. 

Que dire du maquereau de la Mer du Nord enroulé de canard fumé et de pickles de concombres homemade. Il y a aussi cette brindille sur laquelle ont été piquées des carottes aux différentes fermentations et rehaussées d'une sauce au chou fermenté et à l'encre de seiche. Démonstration de cuisson au feu avec le maquereau poêlé, framboise et betterave ou le rouget parfaitement snacké avec sa sauce de crustacés. Nirvana officiellement atteint lorsqu'arrive le turbot poché avec ses morilles farcies de poireaux et sa sauce puissante. 

Une expérience complète 

C'est du génie, beaucoup de talent aussi. Et une atmosphère belge, flamande et locale qui sort des sentiers battus. À l'image de cette invitation, à la fin du repas, à venir prendre un café dans le salon plutôt qu'à table. On abat complètement le quatrième mur lorsque les convives s'affalent nonchalamment dans les canapés crème en échangeant avec le chef. On devine les polders à travers les immenses baies vitrées au loin. Devant une belle collection de vinyles, le tourne-disque joue Seabird des Alessi Brothers. Un moment d'éternité totalement impayable. Comptez 235 € le menu expérience et 95 € l'accord mets-vins en soirée. L'eau et le café sont inclus dans le prix (à ce stade heureusement) . Une addition (très) salée... pour vivre l'expérience culinaire d'une vie.

Infos : 

Où ? Kapittelstraat 71, 8460 Oudenburg-Oostende, België

Quand ? Du mercredi au vendredi à 19h. Le samedi à 12h et à 19h. Fermé le dimanche, lundi et mardi. 

restaurant.willemhiele.be