La néobourgeoisie, nouvelle fixette des modeuses

Lointaine cousine du BCBG des années 90 et bien différente de la bobo de cette dernière décennie, la nouvelle bourgeoise est rock, impertinente, mais classique tout de même. Décryptage.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS : D.R. |

Jusqu’ici, vous connaissiez la bourgeoise traditionnelle (ou “botra” comme disent les experts en marketing mode). Elle, c’est plutôt Bernadette Chirac. Petit tailleur Chanel, collier de perles, souliers bicolores. Soit l’image très cliché d’une bourgeoise rangée, souvent “fille de” ou “femme de”. Dans un autre style, vous avez aimé, ou en tout cas remarqué, la “bobo”, la bourgeoise bohème. À la fois chic, cool et relax. Elle, c’est Caroline de Maigret ou Inès de la Fressange. Elle affiche, elle aussi, une nonchalance à la française qui lui a d’ailleurs valu les honneurs de nombreux manuels de “savoir s’habiller”. Depuis quelques années, cette bourgeoise est l’outil préféré des marques de mode. Sauf que, désormais, elle a une rivale. Et de taille. Encore un peu abstraite, car fraîchement descendue du catwalk, la néobourgeoise 2019 est l’œuvre d’un homme: Hedi Slimane, le nouveau directeur artistique de Celine. En un seul défilé, celui-ci a complètement revisité l’image de la bourgeoise. Savant mélange de dame chic et classique et de rock attitude (sa patte à lui), la descendante de Bernadette C. réinvente complètement les codes du vestiaire automnal.

Ce style, on l’aura compris, n’a rien de vraiment révolutionnaire. Hedi Slimane est d’ailleurs vu (et reconnu) comme expert en styling et tendanceur plutôt que comme créateur. Sa technique : puiser dans les archives Celine pour ensuite revisiter l’allure classique de la bourgeoise (dans son cas, version seventies) à grand renfort de blazers et de jupes-culottes en tweed, de chemisiers à lavallière, de trenchs et de bottes hautes. Preuve que la tendance est plus qu’un simple coup de folie du brillant Hedi, ce style est décliné en version déglinguée chez Gucci et également chez Chanel. Mais pourquoi cette tendance revient-elle en force ?

La réponse est à chercher du côté des changements observés dans la société, mais aussi dans le secteur de la mode.

Motif N°1 : le retour du puritanisme

Parmi les pièces phares du vestiaire néobourgeois, les jupes-culottes et les jupes plissées flirtant avec le creux du genou squattent la première place. C’est simple : cet hiver, pour être chic et branchée, on évitera de se découvrir les cuisses. Le puritanisme est à la mode. Réaction à un style sexy chic parfois proche du vulgaire, cette retenue s’explique aussi par la globalisation du secteur du luxe. Pour les marques, il est plus confortable de lancer une jupe qui ne risquera pas de choquer les clientes issues de cultures où la nudité est plutôt mal vue.

Oui au bourgeois 2.0, mais de préférence en version politiquement correcte. En 2019, la bourgeoise peut tout à fait revendiquer son appartenance aux années 70 chères à Slimane, à condition de conserver une bienséance au niveau de l’ourlet. Juste de quoi ne choquer personne. Et rien ne l’empêche de glisser des dessous affriolants sous son tailleur un poil coincé. C’est même fortement conseillé. L’avantage ? Cette longueur de jupe est nettement plus flatteuse que la mini ou le slim. Un rapide détour par Google vous rappellera d’ailleurs, au passage, ce que Gabrielle Chanel pensait de la tendance “genoux à l’air” : “Montrer les cuisses, oui, mais les genoux, jamais !” Édifiant. Notre conseil : adoptez à la lettre les préceptes de ce gourou d’Hedi et accessoirisez votre look avec une paire de bottes droites et hautes.

    Motif N°2 : Le savoir-faire, valeur refuge

    Depuis quelques années, les marques aiment mettre en avant le savoir-faire de leur Maison. Un outil marketing de plus pour se différencier des labels mainstream qui, soit dit en passant, n’ont pas attendu qu’on leur donne le feu vert pour s’approprier les codes de la néobourgeoisie. Que celle qui ne rêve pas déjà de glisser ses gambettes dans une jupe-culotte Zara – juste pour voir – nous jette la première perle.

    Du côté des marques de luxe, quoi de mieux que le tweed, le lainage très luxe, le velours chic ou un mocassin en cuir pour véhiculer une image bon chic, bon genre ? Et tant qu’on y est, pourquoi, puisqu’on parle ici de matières tellement premium qu’on peut les conserver des années, ne pas en profiter pour jeter un œil du côté des boutiques vintage ? Propriétaire de l’enseigne Miscellany, Ornella Briglio n’a pas entendu l’aval de Slimane pour s’amouracher de la jupe-culotte années 70 et 80. Sauf qu’avec le consentement du DA de Celine, elle sera plus facile à imposer auprès d’une clientèle encore un peu réticente à aborder un look Marie-Chantal : jupe-culotte, chemise à nœud-nœud et bottes hautes.

    Motif N°3 : La réaction au streetwear

    Même Virgil Abloh (directeur artistique de la marque branchée Off-White, NDLR), qu’on imagine plus à l’aise dans un registre streetwear que dans une lecture, même détournée, des pièces iconiques des dames du XVIe, s’est entiché de ce nouvel esprit bourgeois.

    Pourquoi ? Parce qu’Abloh, DJ et prescripteur de tendances, plutôt que couturier, est parfaitement conscient de l’urgence de secouer les codes de la rue qui, à force d’être mis à toutes les sauces, ont bien besoin d’un coup de fouet. À moins d’avoir été briefée par le créateur lui-même sur ses intentions, il est pourtant plutôt difficile de trouver la moindre trace de bourgeoise (fut- elle néo) dans les silhouettes du show hiver 2019 d’Off-White. Pourtant, si on se force un peu... Prenez l’imper, pièce phare du défilé : il est beige comme celui de la bourgeoise, mais en néoprène satiné et oversized. Idem pour ses tailleurs, beiges eux aussi (le beige est bourgeois, apparemment) proposés dans un tissu technique. Notre avis ? Si la vision d’Abloh a le pouvoir de mettre temporairement nos sneakers en congé, on notera surtout les efforts de l’Américain pour la réhabilitation d’un certain chic urbain.

    Chez nous, les deux frangines à la tête de la griffe Filles à Papa ont, elles aussi, insufflé une touche de bourgeoisie dans leur collection automne/hiver. Silhouette phare de cette tendance, le tailleur à petits carreaux s’invite dans un vestiaire résolument punk.

    Motif N°4 : L'intelligence branchée

    Même si Saint-Germain n’est plus vraiment Saint-Germain (en quelques années, le quartier de Paris cher aux écrivains et aux créateurs phares des seventies est devenu le repaire des groupes de luxe qui ont investi les anciennes librairies du VIe pour les transformer en flagships), Hedi Slimane s’est tout de même inspiré du fameux esprit Rive Gauche. Pour son show automne-hiver 2019 (le deuxième depuis son arrivée chez Celine), il avait choisi de faire défiler les mannequins dans un décor intello, entre livres anciens et boiseries chics. Et pour souligner son propos, il avait soigné chaque détail. Une Parisienne qui aime les livres porte forcément des lunettes de vue ? Oui, à en croire Slimane. Tiens, c’est vrai, ça : les livres sont archibranchés en ce moment.

    Pour son premier défilé couture en solo (comprenez, post-Lagerfeld), Virginie Viard avait choisi de transformer le Grand Palais en une immense bibliothèque. Sortez vos romans un peu jaunis (neufs, ça ferait nouveau riche qui veut se donner une crédibilité) et révisez vos auteurs préférés. Non, pas leur œuvre. Plutôt leur look. Prenez Sagan et ses silhouettes indémodables, tendance boyish bourgeois : sautoirs en pagaille, foulard en soie (noué à la hâte), trench et... une touche de no5 de Chanel. À défaut de tweed, ça le fera aussi.

    Motif N°5 : Les sellenials, prescripteurs de tendances

    Qui ça ? Les nouveaux chouchous des bureaux de style et des prescripteurs de tendances. Contraction des mots Millenials et Seniors, ce néologisme désigne une nouvelle génération hyperconnectée, mais attachée à certains codes traditionnels. C’est évidemment à eux qu’ont pensé Hedi Slimane et Alessandro Michele (DA de Gucci) lorsqu’ils se sont réapproprié les codes de la bourgeoisie.

    Eux, ce sont les lassés du “trop neuf”. Quand ils ouvrent des brasseries branchées, ils remettent le bœuf bourguignon et les tripes à la carte. Leur kif : les nappes blanches et l’argenterie, quitte à les poster directos sur Instagram. Quand ils s’habillent, pareil. Les sellenials adorent les perles (en sautoir, mais aussi en barrette) ou encore le Chanel 19, un nouveau sac qui incarne les codes phares de la Maison (les chaînes, le matelassé, le flapbag...). On le porte comment ? Pas de manière détournée. Ça, c’était avant. Plutôt à l’épaule. Et si vraiment ce look vous inspire, vous allez applaudir le retour en force des fameux souliers bicolores de la marque au double C. Ceux dont, à moins d’avoir l’œil aiguisé, on n’avait pas vraiment prévu le come-back.

      Découvrez en images quelques looks typiques de la néobourgeoisie :

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