Le plastique devient écologique

Recyclés ou biocomposites, fabriqués à partir de matériaux naturels, les plastiques sont entrés dans l’ère du green. Et les designers exploitent ces nouvelles matières durables.

PAR AGNÈS ZAMBONI. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

C’est le matériau qui a permis l’explosion du design et de la fabrication en série avec une créativité sans limite... jusqu’à ce que l’on prenne conscience de son caractère polluant et éphémère, capable de mettre en danger la planète. Véritable fléau meurtrier, ses déchets flottants, plusieurs milliards de tonnes, sont notamment responsables de la disparition de nombreux animaux marins et oiseaux.

Mais le plastique, ennemi de la vie moderne et vecteur de la société de consommation, accusé de produire des objets obsolètes et de mauvaise qualité, est en train de prendre sa revanche. Déchets recyclés pour produire de nouvelles matières, créations en écoconception, matériaux biosourcés, son univers est désormais animé par un mélange de savoir-faire artisanal et de créations, détourné par la technologie qui préside aux plastiques de demain.

Et dans ce monde en pleine mutation, les initiatives pullulent... Aux qualités intrinsèques du plastique thermoformable, une matière fantastique qui permet de créer une infinité de formes, s’ajoutent aujourd’hui de nouvelles qualités esthétiques issues des propres méthodes de recyclage. Entre la valorisation des rebuts et la mise au point expérimentale de nouvelles matières, les designers ont trouvé un nouveau terrain de jeu et de liberté, qui accompagne un engagement responsable et des activités plus vertueuses.

Recycler, c'est bien

Le saviez-vous ? Il existe sept sortes de plastiques, tous recyclables, mais seulement deux sont collectés et recyclés. Le PET (Polytéréphtalate d’éthylène) qui correspond globalement aux bouteilles transparentes et le HDPE (Polyéthylène à haute densité) qui permet de fabriquer les bouchons et les bouteilles colorés. Les cinq autres types sont tout simplement incinérés.

Devant le manque d’information sur le réemploi des plastiques, Sophie Boucquey, accompagnée de deux amis de conscience écologiste, a créé en 2018, Plastivor, une asbl bruxelloise qui sensibilise les consommateurs à ce problème.

Leur première action et création : l’édition d’une série de cent petits luminaires avec une base fabriquée en LDPE (Polyéthylène à faible densité) et HDPE (pour apporter de la couleur).

"Le LDPE est un plastique qui compose les sacs transparents protégeant les vêtements pliés de l’industrie du prêt-à-porter pendant leur transport. Les sacs en LPDE sont jetés lorsque les vêtements sont rangés dans les rayonnages et étagères des commerces de la mode. Leur usage unique provoque une pollution énorme", raconte Sophie Boucquey.

Et pour fabriquer de nouveaux objets à partir de plastique recyclé, ce n’est pas sorcier : "Les techniques pour recycler du plastique sont très low tech. Il suffit de faire fondre ses déchets dans un petit four industriel à moins de 200°C, en portant un masque, pour éviter les émanations toxiques comme celles des phtalates. On peut refondre six à sept fois le plastique comme du chocolat !", rajoute Sophie Boucquey, qui a installé cette activité récente (et qualifiée de hobby), dans le site RecyK d’Anderlecht, appartenant à Bruxelles Propreté.

À cet endroit, un écomusée regroupant des créations en matériaux de récupération vient de s’ouvrir pour les écoles... Bienvenue aux créateurs en herbe ! Et à côté d’initiatives citoyennes de créateurs amateurs, des designers se passionnent pour le recyclage du plastique, dont la diversité des gisements est étonnante.

Recycler, c'est beau 

Mais oui, le plastique recyclé, c’est beau et parfois plus beau que le plastique neuf ! Il véhicule bien sûr une certaine esthétique souvent très colorée, mais parfois aussi plus sobre et neutre avec des effets chinés pastel ou plus vifs, des patchworks de motifs aléatoires et parfois des coloris unis qui cachent volontairement une origine de réemploi.

Les matières offrent une grande inventivité dont les designers se sont emparés. Les harmonies subtiles des petits blocs de plastique marbré des socles des lampes de Plastivor, simple travail d’autodidactes, témoignent qu’il y a vraiment matière à s’amuser.

Grâce aux teintes multicolores du plastique recyclé, chaque pièce est unique, personnalisée, en opposition avec l’image standardisée de la matière neuve. Les décors créés par l’hétéroclisme des différentes typologies de composants participent à l’esthétique de l’objet, recomposant parfois une sorte de pierre minérale artificielle du futur.

Réalisée à partir des rebuts de l’industrie plastique, générant chaque mois dix tonnes de ceux-ci, pour offrir une teinte irréprochable à la matière, l’esthétique de la coque de la chaise Gravêne est basée sur sa couleur variable. Elle a séduit le restaurant du Palais de Tokyo, à Paris. L’aspect unique de ses teintes dégradées et acidulées apporte aussi une touche d’originalité à une cuisine, une salle à manger, une entrée...

D’autres designers comme l’équipe de vanPlestik créent de nouveaux objets qualitatifs et très dépouillés où, par contre, le procédé de recyclage de la matière est invisible. Enfin, la pâte de plastique recyclé fait aussi très bon ménage avec les technologies du moulage par extrusion et compression et la fabrication en matière additive et impression 3D pour fabriquer des objets, toujours très résistants dans la lignée de l’upcycling.

Des matériaux presque irréprochables

Les plastiques d’aujourd’hui sont recyclables mais aussi biodégradables. Les deux “natures” sont d’ailleurs conciliables et compatibles dans la fabrication vertueuse d’une même pièce.

Dans cette industrie de la nouvelle plasturgie, on trouve des résines comme le PET, le PVC (polychlorure de vinyle) qui utilisent les mêmes voies de recyclage que les plastiques conventionnels, mais aussi des résines à structure innovante dotées de nouvelles propriétés et de nouvelles fibres incorporées comme le PLA (acide polylactique) ou les PHAs (polyhydroxyalcanoate).

Cette branche directement inspirée du vivant présente un fort potentiel et de grands intérêts environnementaux, techniques et économiques. Encore en développement, elle symbolise la nouvelle génération de plastique dotée de nombreux avantages comme celui de se passer des énergies fossiles. La gestion de leur fin de vie est aussi prometteuse puisqu’elle va du compostage, à la production de biogaz en passant par le recyclage afin de produire de nouvelles matières plastiques. Les termes PA recyclé, PE recyclé, PE ou PETE sont garants d’une traçabilité dans le mode de fabrication et de destruction du matériau.

Dans le secteur des bioplastiques ou biocomposites, véritable vecteur de développement durable et d’industries d’avenir, la recherche des ressources écologiques permet de remplacer des fibres synthétiques toujours utilisées aujourd’hui et très polluantes à long terme.

Outre leur impact moindre sur la planète, ces matériaux offrent un véritable concentré de performances. Ils s’utilisent en petites quantités et permettent de fabriquer des objets plus légers.

En tant que composites, ils sont formés par une matrice (résine) et un renfort de fibres naturelles issues de plantes ou de cellulose (fibres de bois, de chanvre, d’amidon de maïs ou de canne à sucre) mais ne sont pas toujours entièrement biodégradables.

En effet, les matrices en résines classiques comme le polyester ou l’époxy sont renouvelables, recyclables mais pas biodégradables.

Des pionniers en la matière 

Les expérimentations de chaises, exercices de style par excellence du designer, sont légion dans le domaine de la plasturgie responsable. De nombreuses firmes de design ont mis un point d’honneur à fabriquer et à commercialiser leur chaise bio et les designers à l’imaginer.

Venu du monde de l’automobile, Frédéric Morand a créé en 2007, DSC (Design Composit Solution) devenue aujourd’hui la firme Saintluc design composites solution. C’est avec le designer François Azambourg qu’il a mis au point une chaise à base de fibre de lin qui réduit 98 % les rejets de CO2 par rapport à une chaise en fibre de verre. Trois années de recherche ont été nécessaires pour obtenir un matériau composite léger et performant, renouvelable et recyclable qui n’utilise qu’un dixième de l’énergie utilisée pour la fibre de verre.

Et depuis d’autres créatifs ont cédé à l’appel des matériaux biosourcés et végétaux comme à celui des pertes des productions industrielles. La chaise Kusko Bi, quant à elle, est fabriquée dans un bioplastique qui a des caractéristiques et des propriétés similaires à celles du plastique fossile. Il peut être injecté, extrudé ou thermoformé mais il provient de ressources végétales et renouvelables (betterave, amidon de maïs, canne à sucre...).

Matériau entièrement recyclable, ses propriétés organiques le rendent, grâce à un processus industriel, aussi biodégradable. Il présente de plus un atout environnemental important en réduisant les rejets de gaz à effet de serre.

Egalement dans la veine des produits agrocomposites, les créations en matériaux à base de lin et polyester, lin et PLA, chanvre et PP (polypropylène) de Rafaële David, créatrice du studio Az & mut. Vu au dernier London Design Festival, le Nuatan, entièrement biodégradable, est le résultat de six années de recherche menées avec des scientifiques spécialistes des matériaux à l’Université de technologie slovaque.

C’est une recette brevetée à base de deux biopolymères différents : le PLA, plastique naturel dérivé de l’amidon de maïs, et le PHB (polyhydroxybutyrate) fabriqué à partir d’amidon de maïs métabolisé par des micro-organismes.

Ce nouveau matériau qui peut être moulé par injection, imprimé en 3D et moulé par soufflage à la manière des plastiques traditionnels résiste à des températures supérieures à 100°C sans perte d’intégrité et offre une durée de vie allant jusqu’à quinze ans. Il pourrait donc servir à créer des contenants alimentaires et culinaires ou des produits d’art de la table...

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