Après le "greenwashing", sommes-nous en plein "size washing" ?

De plus en plus de marques célèbrent les différences en faisant défiler des femmes rondes, voire très rondes, assumant pleinement leur féminité. Mini- révolution ou “size washing” ? Nous avons enquêté.

PAR GEORGES XOURAS. PHOTOS UNSPLASH, D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Les marques sont-elles vraiment en train de rendre la mode accessible à toutes les femmes ou vont-elles plutôt créer de la frustration chez celles qui se sentiront, une fois de plus, exclues du débat ? Jusqu’il y a peu, le créneau “plus size” restait assez marginal. Mais récemment, une flopée de marques prescriptrices, dont Chanel, ont commencé à caster des filles aux formes très généreuses. Un détail tout sauf anodin quand on se souvient des tirades cyniques de Karl Lagerfeld sur le sujet.

En 2013, il s’était attiré les foudres d’une association féministe après avoir déclaré que Les femmes rondes n’avaient rien à faire sur un podium. Huit ans plus tard, Il a suffi de quelques prises de position cinglantes d’activistes américaines et d’une montée en puissance de power girls très médiatisées – comme la chanteuse Yseult, toujours prête à monter au créneau quand il s’agit de défendre sa liberté de vivre sa féminité comme elle l’entend – pour que Virginie Viard, actuelle directrice artistique de Chanel, entre autres, adapte son casting.

Parmi les facteurs qui ont facilité ce changement de mentalité du côté des marques, on peut aussi citer... le confinement. Comme nous l’a expliqué Odile Farber, directrice de l’agence de mannequins belge Dominique Models : Au printemps 2020, juste après le premier lockdown, beaucoup de filles rondes ont commencé à se prendre en photo chez elles. Conséquence : les marques soudain contraintes d’observer le monde par le prisme d’Instagram et des réseaux sociaux, ont immédiatement réagi en faisant souffler un vent de liberté sur les castings des campagnes et des défilés. Le succès des filles rondes est, à mon sens, une conséquence positive de la crise. Actuellement, nous développons d’ailleurs un pôle “plus size” pour les garçons en espérant qu’il rencontre le même succès que son équivalent féminin, précise encore Odile Farber.

Proximité et inclusivité

Une fois par an, la marque de lingerie Etam profite de la Fashion Week parisienne pour organiser un défilé événement. Sur le podium : les plus beaux tops du monde, le plus souvent archiminces. Mais depuis une saison, aux côtés des brindilles, on peut apercevoir quelques filles plus rondes. Comprenez : avec des hanches et une poitrine généreuse, plus adaptée à des bonnets F qu’à une bralette taille 34. Peut-on parler d’une révolution en dentelle ? Pas si sûr. Alors, oui, forcément, il est de bon ton, en 2021, de présenter une plus large variété de silhouettes, tant sur un podium que sur des images de campagne. Tout comme il est souhaitable de ne pas se cantonner à caster des filles à la peau blanche et à inviter, tant qu’on y est, un mannequin qui revendique son appartenance au troisième genre.

S’il est évident que cette volonté de valoriser les différences constitue un réel progrès sociétal, on peut se demander ce qu’elle change vraiment pour la consommatrice lambda, celle pour qui entrer dans une cabine d’essayage en vue d’essayer un soutien-gorge n’a rien d’une évidence. Directrice générale d’Etam pour le Bénélux, Nathalie Raymakers n’a pas attendu de débarquer dans le royaume des petites culottes pour se poser ce type de questions. Ancienne Sales Manager chez Mayerline, une marque belge qui habille les femmes du 38 au 50, elle a observé, dans l’ombre, l’évolution du marché. On parle beaucoup de liberté chez Etam, mais lorsqu’on observe les clientes qui entrent dans nos magasins, on constate que l’acceptation de soi n’est pas un fait acquis. Si, d’un côté, certaines jeunes consommatrices affichent leurs courbes sur Instagram, la pression exercée sur les réseaux sociaux – où, soyons réalistes, la perfection continue de primer – est source de bon nombre de complexes et de frustrations, avance-t-elle tout en soulignant un certain assouplissement dans l’approche des tailles.

Beaucoup de femmes commencent à comprendre qu’un 38, au final, ça ne veut rien dire et que le mot “large” n’a pas la même signification pour tout le monde, précise-t- elle. Depuis le confinement, l’obsession de notre cliente, c’est le confort, un concept qui concerne toutes les femmes sans exception et qui nous oblige à repenser nos produits dans ce sens.

La Belgique en exemple

Depuis l’été dernier, LolaLiza joue, elle aussi, la carte “plus size” en proposant certaines pièces en taille 48. Ce changement, la marque belge avait déjà tenté de l’amorcer en 2015 en s’adressant à d’autres profils de femmes. Sauf qu’en l’absence d’un vrai plan marketing et dans un contexte général encore frileux quant à ce type de propositions, la sauce n’avait pas pris. Aujourd’hui, le vent semble avoir tourné. Nos chiffres de vente montrent l’appétence de nos clientes 44 et + pour la mode. Désormais, au moins 50 % de notre offre est déclinée en taille 48. Cet hiver, nous pousserons ce chiffre jusqu’à 80 %, nous a précisé Joachim Rubin, PDG.

Détail frappant : comme pour de nombreuses marques, cette annonce est couplée à l’engagement du label dans la protection de l’environnement. Là où on pouvait déjà parler de green washing, n’est-on pas en train de tomber dans une forme de size washing ? Chez Hunkemöller, autre géant de la lingerie bien implanté chez nous, on tente de séduire la génération Z avec des images de campagne qui montrent des jeunes femmes aux couleurs de peau et aux morphologies contrastées. Le mot d’ordre : Body Positivity, un terme un peu fourre-tout, mais qui – avec ses 15,2 millions d’entrées sur Instagram rien que pour le hashtag #bodypositivity – a de quoi interpeller les pros du marketing.

Du côté de la jeune marque belge de maillot de bain MY.O, on mixe également conscience écologique et inclusivité. Sur les photos de sa première campagne, des filles aux hanches et poitrines voluptueuses s’affichent dans des modèles très glamour proposés en 3 tailles. La plus grande est baptisée curvy, un terme plus chic que XL, avouons-le.

Du côté des multimarques, on s’organise également. Fondatrice de House of Bilocca, une e-boutique qui habille les femmes à partir de la taille 44, Stefanie Stroop assume totalement l’idée selon laquelle cette nouvelle inclusivité s’apparente à un véritable art de vivre. Sur les réseaux sociaux, elle souhaite donc inspirer ses clientes à coup d’images gourmandes et glamour, mais aussi de prises de position plus militantes en se faisant notamment l’écho du message véhiculé par le top belge Sharon Grobben, créatrice de la plateforme The Diversity Project. Mannequin pour de grandes campagnes internationales, la jeune femme, source d’inspiration pour de nombreuses filles rondes qui la contactent via les réseaux sociaux, compte 236 000 abonnés sur Instagram.

Sentiment d'appartenance

Si, pour les marques de prêt-à-porter, passer à l’éco-fashion est devenu une nécessité, histoire de ne pas se fâcher avec toute une génération de jeunes militants (et leurs parents convertis à la même cause), on peut facilement dresser un parallèle avec cette nouvelle inclusivité, en passe de devenir la norme.

Les marques qui ne suivent pas le mouvement ne survivront pas, promet Stéfanie Stroop. Pour les photos d’inspiration de son e-shop, l’entrepreneuse caste, elle aussi, des filles qui incarnent toutes les facettes de l’inclusivité 2.0 : Nous nous efforçons de présenter des origines ethniques différentes, mais aussi, au- delà de l’image pure, de proposer une vraie guidance à nos clientes. Sur notre e-shop, nous ferons en sorte d’analyser les différents modèles de manière critique, précise-t-elle.

Au-delà du charme manifeste de ces images rafraîchissantes montrant des filles aux courbes visiblement assumées, il ne faudrait en effet pas oublier que la mode “grande taille” va de pair avec une recherche technique très pointue. A fortiori quand on s’aventure dans le créneau de la lingerie. Traduire un modèle existant en taille 48 ou 50 ne s’improvise pas. Le vrai défi est donc là. Et s’il faudra encore plusieurs années pour briser les derniers stigmates et voir les rondes porter les mêmes collections que les minces, force est de constater que les marques, contraintes et forcées, sont en train de plancher sur le sujet.

Chez Etam, on tente par tous les moyens de gommer l’image glamour et trop jeune qui colle à la marque. La Femme Culottée, l’une des plus récentes campagnes du label, ne parlait pas de mensurations, mais bien d’acceptation de soi. Comme sur les couvertures du magazine Glamour, en janvier dernier, les mannequins rondes côtoient d’autres profils, dont des femmes qui, après un cancer du sein, cherchent à retrouver leur féminité. Loin du caractère très léché de ses défilés parisiens, la marque française se rapproche de ses clientes.

Depuis un an et demi – et après plusieurs années de recherche technique dans l’élaboration de soutien-gorge adaptés aux bonnets E et même F –, nous faisons en sorte de pouvoir proposer toutes les tailles dans nos magasins. Notre vrai challenge : ne laisser aucune femme sur le carreau. Nous développons des soutiens-gorge sans armature adaptés aux poitrines généreuses, mais aussi des leggings de sport en taille 44, ajoute Nathalie Raymakers.

Sur les portants de la boutique Etam de l’avenue Louise à Bruxelles, les matières recyclées ou bios (désormais incontournables) et les collections adaptées aux femmes rondes tracent les contours de la mode de demain : une mode pour toutes qui, si elle prendra encore des années à trouver ses marques (dans tous les sens du terme) semble en tout cas, pour la première fois depuis longtemps, prête à offrir de nouvelles perspectives à toutes les femmes, quelle que soit leur morphologie.

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