La raison sinistre pour laquelle les pays nordiques sont réputés les plus heureux du monde

Les Nordiques sont-ils plus doués que nous pour le bonheur ? Loin des clichés suranés qui tournent autour des pays scandinaves, un Finlandais a décidé de nuancer cette vérité (trop) communément admise.

Par Camille Vernin, Photo : Pexels |

Slate, média réputé pour ses enquêtes et analyses sociétales, a récemment décidé de laisser la parole à l'un de ses journalistes finlandais à propos du fameux mythe du bonheur scandinave. L'occasion de s'interroger : le hygge est-il toujours d'actualité ? 

Ce geste très populaire dans les pays scandinaves serait délicieux dans le café :

Surfait le hygge ?

Le hygge, c'est l'essence même de l'art de vivre scandinave, ou en tout cas de l'idée que beaucoup de pays s'en font. Prononcée « hugueu », cette philosophie de vie danoise repose sur l'idée que le bonheur naît des petites choses simples du quotidien. C'est le cocooning mixé à l'art du lâcher prise, un plaid moelleux et un thé brûlant, une sorte de psychologie positive individuelle intégrée dans un esprit de communauté bienveillant. Ces petits riens réunis permettraient d'atteindre un tout épanouissant. Du moins en théorie. 

Car si les nations scandinaves arrivent systématiquement en tête des pays les plus heureux à travers le monde, ce n'est pas uniquement grâce au hygge danois. Ce serait bien trop facile. D'ailleurs, dans cette région d'Europe du Nord, chaque pays semble posséder sa propre définition du bonheur. En Finlande, on ne parle pas de hygge, mais de kalsarikännit, pour exprimer ce lâcher prise indulgent qui prend cette fois la forme d'une beuverie seul chez soi en caleçon à la maison. Chacun sa façon de décompresser.

Mais pour élire chaque année les pays scandinaves comme les plus heureux du monde, le World Happiness Report se base sur des critères beaucoup plus objectifs. Le bonheur y est estimé en fonction de six facteurs : le PIB, l'espérance de vie, la générosité, le soutien social, la liberté et la corruption. Depuis des décennies, le Danemark arrivait systématiquement en tête du rapport. Depuis cinq années consécutives, c'est la Finlande qui s'est emparée de la médaille d'or.

Pourtant, le journaliste Jukka Savolainen est catégorique : "Personne n'est plus sceptique que les Finlandais quant à l'idée que nous sommes le peuple le plus heureux du monde". Pour l'illustrer, il relate l'anecdote selon laquelle un membre du cabinet du gouvernement finlandais, présenté lors d'une conférence internationale comme "le représentant du pays le plus heureux du monde", aurait répondu : "Si c'est vrai, je ne veux pas savoir à quoi ressemblent les autres nations."

Si on parlait plutôt de lagöm ?

Plutôt que de se baser sur l'accès général et gratuit à l'éducation et aux soins de santé, aux congés parentaux généreux ou au taux de pauvreté et de sans-abrisme minimes, le journaliste de Slate préfère puiser dans le vieil héritage luthérien et dans la loi de Jante (un code de conduite social basé sur la modestie) pour expliquer l'origine du bonheur scandinave.

Selon lui, c'est tout un état d'esprit qui serait à l'origine de cette félicité nordique fantasmée, celui de la neutralité, de l'essentialité, d'une forme d'humilité inhérente. Une façon particulière de penser qui consiste à se répéter : "Tu ne dois pas te croire spécial ; tu ne dois pas t'imaginer meilleur que les autres ; tu ne dois pas te croire bon en quoi que ce soit". Une éthique qui contraste avec la philosophie américaine axée sur la méritocratie et l'accumulation de richesses comme symbole de réussite. Un état d'esprit à double tranchant aussi. Les Finlandais traînent ainsi la réputation de peuple mélancolique et réservé, aux expressions faciales quasi-inexistantes. Oui, si l'on devait mesurer le bonheur aux sourires, la Finlande arriverait sans doute dans les pays les plus malheureux du monde...

"Les gens sont socialisés pour croire que ce qu'ils ont est suffisant. Cet état d'esprit explique pourquoi les Finlandais sont les plus heureux du monde, bien qu'ils vivent dans de petits appartements, qu'ils gagnent des revenus modestes - avec un pouvoir d'achat encore plus limité en raison des prix et des taxes élevés - et que, contrairement à l'Islande, ils n'aient même jamais participé à la Coupe du monde de football !", ironise-t-il. Le secret du bonheur serait-il in fine de se poser des attentes et des objectifs réalistes ? Se convaincre que tout va pour le mieux ? Et si on remplaçait le hygge danois par le lagöm suédois ? Le mot scandinave se présente comme un art de vivre à contre-courant des excès de la vie moderne. Cette philosophie, inculquée depuis le plus jeune âge, cultive la mesure, l'épanouissement et l'éthique. Il ne s'agit pas de se priver, mais de trouver un équilibre entre ses envies et ses besoins véritables afin d'atteindre un équilibre raisonné et d'éviter de vivre dans l'excès en permanence. Pas d'attentes, pas de déceptions en sommes. 

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