Pourquoi tant de restaurants sont-ils au bord de la faillite en Belgique ?

C'est le grand paradoxe. Même quand ils font salle comble et que les réservations sont sold out plusieurs semaines à l'avance, les restaurants coulent. Mais comment expliquer cette réalité ?

Par Ingrid Van Langhendonck, Photo : Hors Champs. |

C'était le grand sujet de la nouvelle enquête menée par l'émission #Investigation diffusée ce 21 février sur la RTBF. Intitulé "Restos : Faillites au menu", il se penchait sur la réalité pas toute rose du secteur HoReCa en Belgique. Il faut dire qu'un grand vent de fermetures souffle en ce moment. Selon l’office belge de statistique, Statbel, on comptait près de 1 200 faillites en 2023. C'est 13,1% de plus qu’en 2016. En cause ? L'augmentation du prix des matières premières, du loyer et de l'énergie. Une hausse également des coûts salariaux pour les patrons qui ne savent plus comment payer leur main-d'œuvre. Sans parler de la pandémie qui a modifié nos habitudes de consommation, et dont les répercussions se ressentent encore sur le porte-monnaie du milieu Horeca des années après. Mais comment font celles et ceux qui luttent encore pour maintenir la tête hors de l'eau ?

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Manger au resto, un luxe ?

C'est une réalité. Les chefs ne peuvent plus uniquement s'accrocher à leur passion et à leur motivation pour tenir le coup. Ils ont beau faire salle comble, le bilan comptable reste insuffisant. Le principal enjeu aujourd'hui ? Proposer une cuisine de qualité, réalisée à partir des meilleurs produits locaux, pour un prix décent. Une réalité devenue impossible aujourd'hui. Un arrache-coeur pour les restaurateurs qui doivent en outre faire face au aux clients qui critiquent (à juste titre) l'augmentation des tarifs. Une situation où personne ne se retrouve satisfait et qui signe, pour de nombreux restaurateurs "la fin d'un secteur". Interrogé l'an dernier, le chef flamand Sergio Hermann expliquait également que toute une série d'enseignes étaient vouées à disparaître, où à devenir bien plus chères. "Ceux qui tiendront, sont ceux qui ont bien trouvé leur public, et qui resteront fréquentés en masse".

La rédactrice en cheffe du Fooding, Elisabeth Debourse, publiait d'ailleurs en octobre 2023 un long édito consacré au sujet, un plaidoyer pour les restaurateurs : "C'est vrai que les restaurants ont augmenté les prix, mais je pense qu'ils n'ont pas encore assez augmenté pour que cela reste rentable pour eux. C'est en grande partie pour faire plaisir aux gens, pour continuer de proposer un moment convivial. Il est difficile de répercuter la totalité de leurs coûts sur l'addition, parce que les clients ne sont pas prêts, eux aussi traversent une crise". "Pour faire le traditionnel '3 points' recommandé en horeca, nous devrions tout simplement doubler nos prix.", nous explique Jacques, un restaurateur de Boitsfort, qui a, lui, réduit sa carte au fil des mois en excluant certains produits devenus trop chers. "Pour nous aussi, les pâtes ont augmenté de 30%, mais quand on en commande plusiseurs dizaines de kilos par mois, et que ces augmentations s'observent sur tous les produits, c'est notre marge qui fond comme neige au soleil".

L'impact sur la qualité de vie des restaurateurs

La plupart des chefs maintiennent donc des prix accessibles au détriment de leur aisance financière et de leur qualité de vie. Stefan, chef du restaurant gastronomique Hors Champs, affirme que, malgré plus de 90 heures de travail par semaine, son établissement est toujours en perte lorsqu’il fait son bilan en fin d’année. "On veut proposer de bons produits à des tarifs démocratiques en rémunérant correctement notre personnel. Le problème, c’est que ce n’est plus possible. À moins de vivre hors de la réalité de terrain, dans un monde totalement idéaliste et idéologique. Un monde où la rentabilité n’existe pas", explique Pia Renaudat, cheffe de l’épicerie et restaurant le Petit Mercado à Saint-Gilles. Toujours interviewées par la RTBF, Marie et Sophie Marconi du restaurant Chabrol (Bruxelles), ont quant à elles adapté leur mode de vie en décidant d'habiter en collocation. Elles évitent aussi les sorties et se nourrissent dans leur restaurant. Malgré cela, leurs 90 heures de travail hebdomadaire leur rapportent un salaire d'à peine 6€ de l'heure...

Un "Horeca à deux vitesses"

On apprend aussi que les établissements qui proposent des prix "moyens" seraient les plus impactés par cette crise du secteur. "Ils sont entre les pizzerias et les fast-foods d’un côté et les restaurants étoilés de l’autre", explique Elisabeth Debourse, rédactrice en chef de Fooding. Un constat partagé par Matthieu Léonard, le nouveau visage de la Fédération Horeca Bruxelles à Woluwe-Saint-Pierre, qui évoque un "Horeca à deux vitesses". Ceux qui s'en sortent seraient ceux qui réussiraient à ouvrir plusieurs établissements sur une même zone géographique, comme il l'a fait lui-même avec son CoinCoin, Plouf ou plus récemment Baballe du côté de Woluwé, . "Mes établissements se trouvent à un kilomètre l’un de l’autre. Je parviens à faire des économies d’échelle. Je peux aussi faire diminuer les prix auprès de mes fournisseurs. Je peux communiquer aisément au sein de ma clientèle et crée un réseau. Mais ce n’est pas le cas pour les plus petits établissements, où le problème central est le coût du travail", explique-t-il, toujours à la RTBF

Le secteur réclame des mesures 

Face à ce constat, la Fédération Horeca Wallonie avait publié un communiqué en octobre de l'année passée. Dans celui-ci, elle réclamait plusieurs mesures au gouvernement, notamment l'adoption de règlementations "équitables et identiques" pour toutes les activités Horeca afin d'éviter la concurrence déloyale. Le secteur réclamait aussi un taux de TVA réduit à 12% pour les boissons non alcoolisées consommées sur place, ainsi qu'une indexation et une extension de la réduction pour groupe cible existante aujourd'hui pour un maximum de cinq travailleurs à temps plein dans le secteur. Enfin, une extension des heures supplémentaires brutes-nettes de 360 à 450 pour les travailleurs fixes a également été réclamée. D'autres solutions existent également, telles que la défiscalisation des pourboires payés par carte bancaire.

Dans l'attente de solutions, les restaurants 'bricolent' et tentent de mettre en place des solutions pour faire de économies: diviser la soirée en deux ou trois services, éviter les tablées avec des enfants, travailler des produits moins nobles ou demander un acompte pour éviter les pertes en cas d'annulation: des mesures impopulaires, qui ne solutionnent pas vraiment le problème et qui crispent souvent le client... Alors, dans un premier temps, la plupart doivent ajouter un ou deux jours de fermeture dans la semaine et, on le constate, de plus en plus, de jeunes entrepreneurs passionnés doivent finalement renoncer.

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