Wordle : Pourquoi ce jeu sur smartphone rend tout le monde accro ?

Impossible d'être passé à côté du phénomène Wordle. Ce jeu en ligne qui s'est propagé à la vitesse grand V grâce au bouche-à-oreille compte aujourd'hui près de 3 millions de joueurs quotidiens à travers le monde. Mais comment expliquer le caractère aussi addictif de ce jeu a priori banal ?

Par Camille Vernin, Photo : Belga Images |

Un mot de cinq lettres à deviner en six essais. À chaque essai, les cases correctes et placées à la bonne place deviennent vertes, celles qui se trouvent dans le mot mais à la mauvaise place en orange et les mauvaises lettres restent grises. Une sorte de “Motus” sur smartphone, en résumé, dont le principe est simple comme bonjour.

Pourtant, le jeu fait des millions de fans à travers le monde, à tel point que Wordle est devenu un véritable phénomène viral durant la pandémie. Le jeu, initialement en anglais, a d'ailleurs vu naître plusieurs versions francophones. Parmi les plus connues, on citera Le Mot et une autre version du même nom mais avec un code couleur différent Le Mot. Mais comment expliquer un tel succès ? Et d’où vient exactement notre addiction pour les jeux de mots en ligne (et pour les jeux sur téléphone tout court) ?

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Imprévisible et répétitif

Ce n’est un scoop pour personne, la pandémie a alimenté notre cyberdépendance, et ce constat est particulièrement vrai chez les jeunes. En cause ? Plus de temps à soi et surtout plus de temps passé chez soi. Notre consommation d’écrans augmente, les habitudes prennent place et l’addiction s’installe de façon insidieuse. Patrick Bordeaux est médecin spécialisé en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et de l’addiction et professeur agrégé à l’Université Laval au Québec.

Il vient récemment de publier “Se libérer de l’addiction en reprogrammant son cerveau” aux éditions de L’Homme. Il nous explique comment naît notre addiction pour des jeux comme Wordle. “Pour qu’un jeu fonctionne et puisse provoquer de l’addiction, il faut d’abord qu’il vous procure un sentiment de satisfaction incomplète. Les jeux en ligne sont fabriqués ainsi, vous devez continuer à jouer et à jouer pour réussir. C’est le meilleur ingrédient pour devenir addict”, explique-t-il.

La deuxième composante selon lui ? “Il faut que le résultat ne soit pas toujours prévisible”. Dans Wordle, vous tapez ses lettres en pensant avoir trouvé le mot correct, mais vous ne savez jamais si vous allez gagner ou perdre. Patrick Bordeaux la compare à l’addiction aux réseaux sociaux. Sur Instagram ou Facebook, vous ne savez jamais si votre contenu va être aimé ou non. C’est le facteur d’imprévisibilité qui nous excite.

Ensuite, et Wordle l’a bien compris en proposant un seul mot à découvrir chaque jour (si vous vous trompez, il faudra attendre le jour suivant), il faut un effet de répétition. “Tout comportement que l’on fait une fois ne peut pas développer une addiction. Les jeux font ça très bien, tout est gratuit au début jusqu’à ce que le jeu s’imprime en vous et, à ce moment-là, ça devient payant”. Dans le cas de Wordle cependant, pas de publicité ni de possibilité de payer pour continuer. Un modèle qui change de l’ordinaire et qui pourrait aussi expliquer son succès.

Dernier point et pas des moindres, il faut que le jeu vous procure du plaisir (logique). “Il faut une activité qui soit au départ agréable. Après c’est une autre affaire”, explique Patrick Bordeaux. “Vous finissez par le faire pour ne pas vous sentir mal alors qu’au début vous le faisiez pour vous sentir bien”.

Un besoin vital

Si ces quatre facteurs sont remplis, ce qui semble être le cas pour Wordle, le jeu peut potentiellement devenir totalement addictif. Alors comment différencier un passe-temps sain d’une véritable dépendance ? “Au niveau neurobiologique, explique le docteur, une activité devient addictive - qu’il s’agisse de drogue ou des comportements - lorsqu’elle commence à être perçue comme vitale”. Dans notre société contemporaine, il cite le téléphone portable comme le premier objet devenu vital par excellence.

Il est bien plus facile de développer une habitude que de s’en défaire. Comment se détacher d’une addiction dès lors ? Premièrement, “réaliser que cette addiction à un coût”. Le temps que vous passez à la réaliser est tout le temps que vous ne passez pas à faire autre chose : discuter avec votre famille, aller au cinéma, faire le sport que vous aimez… Il s’agit alors de trouver un autre plaisir qui n’est pas compatible avec celui-là, explique le spécialiste. Dans le cas de Wordle, il peut s’agir d’aller faire une grande promenade en forêt pour prendre l’air au lieu de rester enfermé chez soi derrière son écran.

Se créer une nouvelle mémoire

L’expert en addiction reconnaît que le confinement n’aide pas. “Vous pouvez aller vous promener, mais vous ne pouvez plus librement aller au restaurant ou dans les bars”, admet-il. Une fois qu’une addiction est là, on ne peut plus l’effacer. Il faut se créer une nouvelle mémoire ou reprendre celle que l’on avait oubliée (sport, musique, théâtre…). “Comment était votre vie il y a deux ans ? Quand on s’est habitué à un nouveau mode de vie, il y a la peur d’en changer. L’être humain rêve d’une stabilité qui n’existe pas, il craint l’inconnu”.

L’objectif ? Parvenir à changer un plaisir intense et immédiat qui libère un paquet de dopamine contre un plaisir moins intense mais bénéfique sur le plus long terme. Feu vert sur les activités qui vous demandent peut-être un peu plus d’effort mais qui contribueront à un bien-être plus prolongé donc ! Et, surtout, il s’agit de vaincre sa peur. Alors on lâche son téléphone, et on sort. Maintenant.

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