Comment reconnaître un "bullshit job", ces métiers considérés comme inutiles

"Bullshit job" ou "job à la con" en français. Ce sont tous ces métiers inutiles qui se cachent souvent derrière d'obscures dénominations. Mais comment savoir si notre propre boulot en fait partie ? 

Par Camille Vernin, Photo : Unsplash |

Ils sont "inutiles" mais pourraient concerner entre 30 et 60% des travailleurs. Ces boulots, on les appelle les "bullshit jobs" ("jobs à la con"), et c'est l'anthropologue américain hyper transgressif David Graeber qui les a théorisés pour la première fois en 2013. En quoi ça consiste au juste ? L'auteur les définit comme "Une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien". Même s'il admet par lui-même qu'il n'a pas de définition précise de ce concept, Graeber donne cependant quelques clefs pour reconnaître un bullshit job.

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Des indices qui ne trompent pas 

Selon le chercheur, ce type de travail serait apparu avec la robotisation croissante de la société qui, au lieu d'avoir diminué la durée du travail de bureau, a réinvesti ce temps gagné dans des travaux inutiles. Mais comment savoir concrètement si l'on fait un "bullshit job" ? Vice UK a eu la chance de parler à David Graeber avant son décès en septembre 2020. Dans l'interview, l'anthropologue raconte que, généralement, on le sait. "C'est évident, si vous êtes en train de vous tourner les pouces toute la journée ou que vous restez assis là à attendre que quelque chose tourne mal ou encore lorsque votre job consiste à donner aux autres un sentiment d'insécurité ou leur mentir, c'est sûrement un bullshit job". Il cite également les postes au sein des grandes structures bureaucratiques où les employés qui y travaillent ne savent qu'une petite partie de pourquoi ils font ce qu'ils font. Le risque ? Le sentiment de solitude et la dépression qui pendent aux nez des travailleurs épuisés à force de s'ennuyer ou de ne pas trouver de sens dans ce qu'ils font au quotidien. 

Pour savoir si l'on a affaire à un bullshit job, l'autre question à se poser est simple : que se passerait-il si cet emploi disparaissait ? Selon Graeber, il est inimaginable de se passer d'infirmières, d'éboueurs ou de mécanos mais on pourrait probablement faire sans les marketeurs, les juristes ou les financiers. Il ciblait également les consultants RH, les responsables de communication, les avocats d'affaires ou encore les lobbyistes. Sa dichotomie volontairement provocatrice a surtout pour objectif de critiquer notre système capitaliste et de questionner le faible salaire alloué aux métiers indispensables comme ceux cités plus haut (professeurs, infirmiers, femmes de ménage...). Paradoxalement, plus un emploi serait utile, moins il serait rémunéré. Une autre méthode plus réaliste pour identifier un "bullshit job" consiste à savoir si vous êtes capable de répondre en quelques phrases ou minutes seulement à la question "Que faites-vous dans la vie ?". Si ce n'est pas le cas...

5 catégories 

Pour y voir plus clair, le Huffington Post a partagé la typologie mise au point par Graeber des cinq types de job concernés. 

1. "Les larbins"

Leur rôle consiste surtout à faire paraître quelqu'un d'autre importante comme le portier qui témoigne du prestige d'un établissement, les démarcheurs téléphoniques pour le compte d'un courtier ou encore certains assistants administratifs.

2. "Les porte-flingues"

Les métiers "agressifs" ou à valeur sociale négative, et qui existent uniquement parce que les autres en ont aussi. Graeber cite l'armée qui existe uniquement parce que les autres pays en ont, mais aussi les lobbyistes, les experts en relation publique, les avocats d’affaires ou les conseillers fiscaux. 

3. "Les rafistoleurs" 

"Ils sont là pour régler les problèmes qui ne devraient pas exister" et qui pourraient être corrigés en amont. Souvent, ils camouflent ainsi l'incompétence de leurs supérieurs en faisant office de "chasseurs de bugs".

4. "Les cocheurs de case" 

Ceux qui permettent aux entreprises de prétendre faire quelque chose. Ils font généralement remplir des formulaires qui ne seront jamais concrétisés ou créent des présentations PowerPoint que personne ou presque ne consultera. Ce type de job concerne beaucoup d'emplois dans la consultance.

5. "Les petits chefs"

Ils se divisent en deux catégories, ceux qui assignent les tâches aux autres pour les faire à leur place et ceux qui créent des tâches inutiles à leurs subalternes. Si cette seconde catégorie est particulièrement nuisible, c'est parce qu'elle crée littéralement des "jobs à la con". 

Beaucoup ont critiqué Graeber pour sa vision manichéenne et subjective du "bullshit job". Ce dernier a révélé qu'il ne voulait ni encourager les entreprises à licencier leurs salariés ni catégoriser les individus en fonction de leurs métiers mais simplement nous pousser à nous poser davantage de questions sur notre système de travail et sur notre propre job en général. 

Des conséquences sur la santé mentale 

Les conséquences pour ces travailleurs sont souvent désastreuses. Entre bore-out (le fait de s'ennuyer à mourir au travail) et brown-out (une perte de sens qui mène à une perte de motivation), le pire reste souvent l'obligation de se mettre en scène pour ne pas affronter la réalité ou, pire, perdre son emploi en révélant la supercherie. Graeber tente ainsi de dénoncer cette absence de stimulation intellectuelle et cette isolation. Selon lui, le capitalisme nous a poussé à considérer le travail comme une vertu en soi, quelque chose de nécessaire et salvateur plutôt que réellement utile pour la société. Si elle ne concerne bien sûr pas tous les métiers, cette conception du travail a conduit à une multiplication de "bullshit jobs", avec toute la souffrance qu'elle engendre. "C’est une situation désastreuse, et il faut qu’elle prenne fin", écrit-il.

Une des solutions ? Au lieu de mobiliser la technologie pour nous faire travailler plus, travailler moins mais plus efficacement et avec plus d'impact concret. Soit agir sur les tâches qui posent problème et les modifier ou y dédier le minimum de temps nécessaire pour en consacrer davantage à des tâches qui comptent, que ce soit dans le travail ou les loisirs. Exit les meetings sans fin et les bilans journaliers laborieux. En attendant, selon une étude publiée en 2021, un salarié sur dix estime que son travail a perdu du sens avec la pandémie.

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