Interview : Baptiste Giabiconi raconte Karl Lagerfeld

Baptiste Giabiconi a rencontré Karl Lagerfeld alors qu’il n’avait que 18 ans. A presque 70 ans, Karl fera du jeune éphèbe sa muse et son modèle préféré, de 2008 jusqu’à sa disparition en 2019. 

Par Estelle Morgan. Photos D.R. sauf mentions contraires. |

Dans son livre, « Karl et moi », Baptiste Giabiconi raconte, ce formidable destin qui lui fait croiser, au printemps 2008, le chemin du styliste le plus admiré de la planète. Un récit qui lève un peu le voile sur le styliste star. Le jeune homme issu d’un milieu modeste du sud de la France devient immédiatement un mannequin à succès. Aujourd’hui, toujours modèle, il a créé une agence d’images avec l’envie de dénicher des talents et de transmettre son expérience. Très engagé également, il a levé en mars, en pleine crise du coronavirus, une vaste collecte de fonds pour la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France. Rencontre, quelques jours avant que n’éclate la pandémie... 

Karl Lagerfeld disait « Le but de la vie est la vie. » Vous donnait-il envie d’être encore plus vivant ?
Karl vous transportait et vous donnait envie de vous dépasser. Jamais il ne se reposait sur ses lauriers. C’est cet enseignement que j’ai reçu à ses côtés pendant plus de douze ans. La première fois que nos regards se sont croisés, nous avons eu l’impression de nous être toujours connus. J’adorais poser pour lui et il adorait me photographier. Au-delà d’une amitié fabuleuse, on peut parler de relation filiale. Notre rencontre est un cadeau de la vie. 

Recherchait-il la perfection absolue à un rythme incessant ? 
Il avait conscience qu’il n’y avait que lui pour vivre à ce rythme. Nous, ses proches, étions ses disciples, ses compagnons fidèles. Karl ne demandait rien. La qualité sans doute essentielle qu’il attendait de nous, qui ne m’a aucunement pesé, mais qui a pu être compliquée pour certains, est la patience. Il fallait se montrer très patient, mais cet inconvénient était contrebalancé par beaucoup de bonheur. 

Karl Lagerfled était-il quelqu’un de pudique ? 
Très pudique, à tous points de vue. Il n’aimait pas se dévoiler, ni physiquement, ni affectivement. Mais j’ai eu la chance de rentrer dans ce cercle très restreint et intime de personnes avec lesquelles il pouvait discuter. Je pouvais tout lui dire et il pouvait tout entendre. Quand nous nous retrouvions en tête-à-tête, il arrivait à me confier certaines choses. Des petits moments assez brefs où il baissait les armes. 

Il était également d’une grande générosité. 
Karl était l’homme le plus attentionné et le plus gentil qui soit. Il ne tenait pas compte des différences sociales, il avait un mot pour chacun de ses collaborateurs et employés. Il saluait tout le monde. Il était très conscient de la chance qu’il avait de pouvoir mener une vie très confortable, mais aussi, de la dure réalité de beaucoup.

Avait-il du plaisir à être chez lui, dans un appartement que vous décrivez comme étonnant et futuriste : « Plus que beau. Jamais vu. Inoubliable. Un chez-soi dans un vaisseau spatial, aux tons gris-bleu… » ?
Cet appartement était son espace de travail, son terrain de jeu, un endroit où il pouvait à la fois se détendre et travailler sans être dérangé. Il n’existait pas beaucoup d’environnements dans lesquels il pouvait créer et s’inspirer tranquillement. Cet espace qu’il s’est façonné Quai Voltaire alimentait la grande intuition qui l’animait et cette modernité qui le caractérisait. La modernité de son appartement faisait écho à celle de ses collections. Il faisait plus de douze collections par an, était aussi photographe, éditeur, designer, dessinateur… Il lisait énormément et avait une immense bibliothèque dont les ouvrages l’inspiraient constamment. Il avait une passion pour l’Histoire. Sa culture était impressionnante. 

Karl Lagerfeld louait chaque année une villa à Ramatuelle. Des étés durant lesquels il créait, tandis que ses amis s’amusaient… Ce contraste ne le frustrait jamais ?
Non. Il dessinait ses collections, serein, heureux de voir ses amis heureux. Et c’est vrai qu’on s’éclatait. On se retrouvait le soir pour le dîner. On allait aussi régulièrement chez Sénéquier à Saint-Tropez. Parfois, je n’allais pas à la plage ou en bateau pour rester auprès de lui. Nous avons fait beaucoup de photos à Ramatuelle.

Vous évoquez également des virées mode, qui semblaient le réjouir comme un gamin. 
Karl était un grand enfant, on ne le soupçonne pas. Peut-être ai-je contribué à raviver cette flamme joyeuse qu’il avait perdue après la disparition de Jacques de Bascher (son compagnon, mort du sida en 1989, NDLR.). En mode, il n’était pas du tout dans le jugement. Comme la fois où j’ai débarqué cet été 2008 avec mon minishort coupé en jean, il s’en amusait beaucoup. Il aimait mon insouciance de jeune homme de 20 ans. 

Était-il satisfait de ses collections ?
Jamais ! Karl était un éternel insatisfait, telle est la force d’un génie. Il était toujours étonné de son succès après chaque défilé. Nous avions tout juste le temps de nous retrouver le soir, au resto japonais, pour le fêter qu’il se remettait au boulot le lendemain. Pour lui, le passé appartenait au passé. D’ailleurs, il disait : « Ce que j’aime c’est faire… Donc, c’est sans fin. »

Baptiste Giabiconi, Karl et moi, Robert Laffont.

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