Le jardin Punk : le mode de jardinage qui va nous faire gagner du temps

Ce mouvement lancé par le pépiniériste et paysagiste Éric Lenoir prône le «non-jardinage». Il invite à minimiser la main de l’homme pour laisser la nature s’exprimer au fil des saisons.

Par Alyette Debray-Mauduy Photo by 2sometravel on Unsplash |

Est-ce bien raisonnable de tondre 2000 m2 de pelouse alors que seuls quelques dizaines de mètres carrés nous sont réellement utiles? Pourquoi remplacer un arbre par un autre sous prétexte que ce dernier est plus à notre goût? Pourquoi encore nettoyer le pied des arbustes et ne pas y laisser pousser de jolies touffes d’herbe? Cette idée de jardin manucuré, pomponné, taillé, bien rangé et propre révolte l’architecte paysagiste Éric Lenoir. Cet élève de Gilles Clément -l’apôtre du «faire le plus possible avec, et le moins possible contre» - à l’école du Breuil, estime qu’elle va à l’encontre de la nature.

Comment garder vos plantes en vie ?

Elle a un impact sur la biodiversité, induit une dépendance en énergie, interroge sur la sensibilité des végétaux aux aléas climatiques. Il était temps de réfléchir à une manière moins conventionnelle de concevoir l’espace vert. Plus instinctive, voire un brin provocatrice. À travers les théories de ce paysagiste, les écologistes bien pensants ont enfin trouvé un jardin qui leur ressemble, où l’homme n’intervient pas. Ou si peu.

Concrètement, pour Éric Lenoir, le gazon verdoyant et tondu au millimètre près, c’est fini. Il suggère de laisser place à une prairie d’herbes folles. «Très rapidement on y voit pousser des fleurs sauvages, des marguerites, des achillées. On note aussi l’apparition d’oiseaux comme les tariés pâtres ou les chardonnerets, précise-t-il. Et pour circuler, il suffit juste de tondre des allées au milieu.»

Économiser son temps, son argent et ses forces

Il milite donc pour un interventionnisme minimal dans le jardin et revendique une sorte de désobéissance aux stéréotypes de l’horticulture. «Au lieu de dire, je veux cet arbre et pas un autre, un massif de fleurs à tel endroit, il faut savoir s’accommoder de ce dont on dispose dans son pré carré. Le climat, la terre… Créer son espace en faisant table rase de ce qui existe déjà pour partir d’une feuille blanche, cela n’a aucun sens. Le jardin sera bien plus robuste si l’on ne va pas à l’encontre de son penchant naturel.»

De cette philosophie, il a imaginé un concept qu’il a baptisé Jardin punk. Il l’a conceptualisé dans un ouvrage intitulé Le Grand Traité du Jardin punk (Éditions Terre Vivante) et a déposé le terme à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) «afin qu’aucune grosse firme n’utilise ce nom à mauvais escient», explique-t-il. Au fil des pages, Éric Lenoir invite les jardiniers amateurs à revoir leur rapport à la nature, tente de décomplexer ceux qui ne sont pas des spécialistes et qui considèrent que ce loisir est réservé à des experts érudits. Il voit enfin dans sa théorie une manière d’économiser son temps, son argent et ses forces. Un principe qu’il a lui-même constaté au Flérial, son jardin laboratoire dans l’Yonne (au nord de la Bourgogne), où l’entretien de ses 14.000 m2 ne lui demande, affirme-t-il, pas plus de cinq jours de travail par an.

Autant dire que ces arguments ont séduit de nombreux adeptes, férus des live organisés par Éric Lenoir, leur prophète, sur Facebook. En tant qu’architecte paysagiste, ce dernier conçoit des espaces verts dans l’espace public mais aussi des aménagements pour des particuliers. 

Des adeptes de plus en plus nombreux

En revanche, il faut reconnaître, qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui croient à la nécessité de laisser vivre la nature sans pour autant être des disciples d’éric Lenoir. Sensible aux problématiques environnementales, Nicolas Baril, architecte paysagiste à Angers, est lui aussi convaincu que «le jardin est un écosystème dont on ne peut pas maîtriser toutes les entrées». Avec ses séances de coaching, il essaye de sensibiliser les particuliers à une manière plus écoresponsable de concevoir leur pré carré pour en faire un lieu nourricier et vertueux, moteur de biodiversité.

Près de Châteauroux, Gilles Guillaume - déjà adepte du mouvement Slow Food - applique quant à lui, sans le savoir, la doctrine prêchée par Éric Lenoir. «Dans mon ancienne propriété à Pau, j’ai constaté que mon gazon était devenu un vrai paillasson. Aujourd’hui, installé dans l’Indre, j’ai décidé de laisser pousser une prairie avec une allée au milieu pour circuler, raconte ce passionné des sols vivants. Lorsqu’on laisse beaucoup de végétation au-dessus de la terre, celle-ci se nourrit en carbone et devient de meilleure qualité, plus productive. J’y ai donc planté des betteraves rouges, du céleri-rave, des artichauts, des pommes de terre et j’ai recouvert le tout d’une fine couche de paillage. Cela apporte de la nourriture à la terre, augmente la présence de bactéries et la concentration en eau.»

Résultat: les vers de terre ont investi les sous-sols et, comme prévu, les fleurs sauvages se sont multipliées. Comme Éric Lenoir, Gilles Guillaume n’arrache pas les mauvaises herbes - sauf lorsqu’elles envahissent ses légumes - considérant qu’elles ont aussi leur rôle à jouer dans son écosystème. «La théorie du Jardin punk a du sens, poursuit-il. Nous sommes en train de massacrer la planète et il est important de mieux réfléchir à la notion de sol vivant.» Mais quand on lui explique qu’Éric Lenoir ne travaille que cinq jours par an au Flérial, il reste dubitatif.

Un courant anticonformiste

Cela signifierait-il que les jardins Punk sont des lieux disgracieux, totalement désorganisés qui ont tout l’air d’un terrain en friche? «Loin de là», rétorque son concepteur. Ils ont leur charme, au fil des saisons et se révèlent même extrêmement bucoliques. «À l’automne, lorsque le givre se dépose sur des carottes sauvages ou sur certaines graminées, c’est fantastique», poursuit le passionné. En effet, une fois que la prairie prend la forme d’un massif, on peut y incorporer des plantes vivaces au lieu de ranger celles-ci méthodiquement dans des massifs. «Les rosiers, par exemple, peu gourmands en eau et rarement malades poussent très bien au milieu des herbages», ajoute-t-il.

Alors pourquoi a-t-il décidé de donner le nom de Jardin punk à son courant? Certes cela interroge, attire l’attention mais, à l’inverse, ne donne pas une image très positive de la nature. «Lorsque j’étais plus jeune j’écoutais les Béruriers noirs, j’étais un disciple de ce courant alternatif, anticonformiste et iconoclaste. Vous allez me dire, quel est le lien entre ce mouvement des années 1970 et ma conception du jardin? Il y a une vraie cohérence. Ma façon de l’aborder se rapproche de celle dont je voyais la vie à l’époque. Un brin rebelle. Avec l’idée de sortir du cadre quand cela est nécessaire tout en respectant certaines règles.»

Car, sous ses airs déjantés, le jardin d’Éric Lenoir ne fait pas totalement fi des règles élémentaires du jardinage. Faucher sa prairie, deux ou trois par an ou enlever quelques mauvaises herbes envahissantes. L’anarchie n’est pas totale. Il le reconnaît: «Dans un sens, je prône la mort de notre métier mais dans le fond, j’incite chacun d’entre nous à devenir de vrais jardiniers.»

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