Le boom des boutiques-ateliers

On y vend, mais on y fabrique aussi de la mode, des bijoux et autres accessoires. Les boutiques-ateliers sont le dernier concept retail en vue. Décryptage de ces nouveaux espaces qui mettent le client au centre du débat.

Par Marie Honnay Photos D.R. |

Comme toutes les (bonnes) tendances, celle-ci est hybride, fruit de plusieurs concepts qui, ces dernières années, ont transformé le visage des magasins classiques. Il y a le boom des e-shops d’abord, qui a poussé les enseignes physiques à se réinventer pour ne pas mourir, ensuite, un désir toujours plus grand de personnalisation de la part des consommateurs lassés des produits formatés.

Et, épice essentielle de cette redoutable recette : l’intérêt croissant pour le local, qui a donné un coup d’accélérateur à toutes les idées qui, il y a quelques années encore, pouvaient sembler anecdotiques. Sans oublier la notion d’exclusivité poussée à son paroxysme. Oubliez les boutiques éphémères. Désormais, ce qui séduit les fans de mode, c’est le magasin où l’on vous reçoit de manière ultra personnalisée et parfois, sur rendez-vous. « Sonnez et entrez ». Voilà, en substance, le message des enseignes qui ont choisi d’associer boutique et atelier. 

Il y a quatre ans, la joaillière liégeoise Christine Alexandre, fondatrice de Chris Alexxa, a ainsi décidé, après avoir travaillé chez elle pendant quelques années, d’ouvrir un espace de vente dans le cœur historique. Depuis la rue, on aperçoit très nettement l’établi où l’artisane s’affaire entre deux clients. « Avant que j’ouvre ce magasin, certains clients venaient chez moi, juste pour le plaisir de pousser la porte de la pièce où je travaillais », confie-t-elle, « ce sont eux qui m’ont incitée à créer une boutique-atelier, mais le plus frappant, c’est que les gens sont plus intéressés par le concept qu’à l’époque.

Mes collections classiques plaisent encore, mais je remarque un réel engouement pour les pièces sur mesure. Il m’arrive d’ailleurs d’emmener certains clients à l’arrière de la boutique pour leur montrer les différences de finition qu’on peut obtenir en utilisant une fraiseuse, plutôt qu’un autre ». Travailler dans un espace décloisonné - l’équivalent d’une cuisine ouverte dans un restaurant - est aussi très motivant. « Cette approche me permet de mieux cerner les attentes des gens. Quand ils entrent avec une pierre, que je ne connais pas, et que je dois trouver de nouveaux nouveaux moyens de la sertir, c’est un vrai boosteur de créativité ».

A une rue de là, dans son atelier de couture, Sanhela Teky, créatrice du label Antilope, est du même avis. « Quand les gens débarquent à la boutique, leur première question est invariablement la même : ‘vous cousez vraiment tout ici ?’ Je suis convaincue que le concept d’atelier-boutique remet le vêtement au cœur du débat. Il lui donne plus de valeur, tout en nous permettant de pratiquer des prix justes. Sans compter qu’un lien fort se tisse forcément entre les clientes et moi. Rien d’étonnant que certains modèles portent leur nom. »

À bureaux fermés

Créatrice du label de maroquinerie Lilu, Emmanuelle Adam est une pionnière. Son atelier-boutique de la rue du Bailli à Bruxelles, elle en a eu l’idée, il y a quinze ans. « Pour être tout à fait exacte, ce sont plutôt les clients qui nous ont soufflé l’idée », précise Emmanuelle. « A force de les voir pousser la porte de l’atelier -nous sommes situées dans un quartier commerçant : ça aide ! -, pour découvrir les coulisses de la marque, on a eu envie de le rendre accessible de manière semi-permanente. Comme nous étions régulièrement dérangées dans notre travail par des clients curieux, on s’est dit qu’il était temps d’ouvrir les portes de notre univers. Si cette approche est évidemment chronophage - nous passons beaucoup de temps avec chaque client pour le guider dans le choix du cuir, des finitions… -, les échanges sont fantastiques. Depuis cinq ans, et encore plus ces dernières années, le public est au rendez-vous. La preuve : nos clients - de plus en plus jeunes, ce qui nous réjouit - ont parfois du mal à comprendre que nous fermions deux jours par semaine, histoire de pouvoir avancer dans la production des commandes en cours », conclut-elle. 

Il y a deux ans, lorsqu’elles ont planché sur l’aménagement de leur magasin de la rue Haute à Bruxelles, Laura et Brendy, fondatrice de Mademoiselle l’Ancien, une boutique de vêtements chinés et modernisés, se sont demandé si elles ne devraient pas cacher la partie atelier ou, en tous cas, l’isoler derrière une paroi de verre. « Finalement, nous avons opté pour un espace totalement ouvert. Si cette approche exige un minimum d’organisation - les clients ne doivent pas avoir l’impression qu’ils nous dérangent, y compris quand nous sommes interrompues au milieu d’une opération qui demande beaucoup de concentration -, elle nous permet de rester en lien avec la boutique. Quant aux clients ils trouvent ça gai de profiter du petit cliquetis des machines quand ils font leur shopping », précise Laura.

L’étape d’après ?

A quoi ressemblera le magasin du futur ? Peut-être pas, comme on aurait pu le penser ces dernières années, à un lieu high-tech dominé par les écrans d’ordinateurs. Connue pour son approche durable et branchée de l’accessoire, la marque de baskets Veja vient de s’associer à Darwin, un espace retail 2.0 installé à Bordeaux. Dans ce lieu qui n’est ni une boutique, ni un atelier, les créateurs du label dessinent les contours de ce à quoi pourrait bien ressembler le magasin de demain. Lancé en 2007 par un visionnaire féru de tendances, désireux de questionner la notion de commerce en y intégrant des principes de partage et de citoyenneté, Darwin accueille désormais, en plus de ses espaces de coworking, de son atelier vélo et de son resto bio, une cordonnerie Veja, première du genre : un lieu où l’on répare et nettoie vos baskets usées. Même que le cordonnier est une cordonnière puisque c’est Nadège qui répare ou recycle les sneakers Veja devant les clients.

Un concept qui, c’est certain, va faire des petits et qui pourrait, cerise sur le gâteau, se révéler être la solution ultime pour redynamiser les centres-ville malmenés par les encombrements de circulation et les conséquences de la crise sanitaire. À Montpellier, ville pionnière dans de nombreux domaines, cette approche fait d’ailleurs figure de nouveau business model. Dans le cœur historique de la Cité ardente, ils sont également nombreux les créateurs et artisans à avoir couplé boutique et atelier. Les villes qui, grâce à ces nouvelles enseignes, peuvent, capitaliser sur le caractère local et interactif de leur offre commerciale pour contrer, en beauté, la crise du commerce de proximité ne vont évidemment pas s’en plaindre.

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