Les "tracances", ce phénomène tendance entre travail et vacances est-il fait pour vous ?

Vous avez peut-être sans le savoir déjà pratiqué “les tracances”. L’idée ? Travailler sur son lieu de vacances. Le concept séduit, mais comment délimiter la frontière entre professionnel et privé ? Quelles sont les conséquences sur la santé mentale du travailleur ? Valérie Cooreman, psychologue à Ixelles et au centre médical St Henri à Woluwé St Lambert, nous livre ses explications.

Par Audrey Morard. Photos : |

Les "tracances" est la nouvelle tendance qui consiste à travailler sur son lieu de vacances. Une telle dénomination ne fait-elle pas définitivement tomber la barrière entre vie privée et vie professionnelle ?

C’est en effet un néologisme qu’il m’arrive d'utiliser en consultation, puisque très parlant. Les tracances marquent une fusion entre travail et vacances, qui, de fait, brise toutes les barrières entre vie privée et vie professionnelle. Et il n’est nul besoin de travailler sur son lieu de vacances pour que l’équilibre entre les deux soit déjà très fragile. Surtout depuis que les outils technologiques s’invitent en dehors des frontières du lieu de travail…. Avec l’avènement du télétravail, se déconnecter de la sphère professionnelle devient de plus en plus difficile. Les gens ont davantage de mal à décrocher de leur travail durant les vacances. Cette tendance ressemble de plus en plus à une pente glissante.

En vidéo, nos conseils pour bien télétravailler : 

Les "tracances" ne nous permettent pas de couper avec l'environnement professionnel. Quels sont les risques sur la santé mentale de la personne adepte de ce nouveau concept ?

Travailler sur son lieu de vacances durant les heures de travail n’est pas si évident. Tout n’est pas à blâmer mais on constate une corrélation entre l'adoption trop rapide et “'sans mode d’emploi” de ces nouveaux modes de fonctionnement et l’impossibilité d’adaptation et de se déconnecter lors des moments qui devraient être consacrés au repos et à la vie personnelle.
Pour certains, l'absence de collègues est un inconvénient quand se fait ressentir le manque d’échanges. Pour d’autres, il existe une difficulté à se motiver lorsqu’ils entreprennent une tâche loin de leur lieu de travail. Ces tracances peuvent mener au bore out, si la tâche est liée à l’ennui. Les travailleurs doivent structurer leur temps et leurs vies durant ces vacances, ce qui n’est pas aisé à gérer. Travailler sur son lieu de vacances est séduisant sur le papier, mais l’ennui peut s'installer et être subi au fil du temps. Il devient rapidement synonyme de fatigue, de déprime et de baisse de l’estime de soi. Les conséquences sont nombreuses et s’apparentent à celles du burn-out : trouble du sommeil, dépression, stress, fatigue mentale et physique… De nos jours, je crains malheureusement que nous n’ayons encore trop peu de compétences dans notre éducation pour être capables de discuter de ces questions. On met des choses en place sans réellement en mesurer les conséquences sur la santé mentale des gens.

Les tracances peuvent-elle mener au burn-out ?

Il faut rester vigilant : tout dépend de l’état d’esprit avec lequel on aborde cette nouvelle manière de fonctionner. Le “tracancier” doit pouvoir déterminer ses priorités, gérer son temps au mieux et prendre du temps pour soi sans culpabiliser. S’il ne le fait pas, il s’expose à des sollicitations plus fréquentes des managers, y compris en dehors de ses horaires habituels de travail. Une telle manière de fonctionner nécessite une organisation de l'entreprise axée sur une bonne communication, ouverte et respectueuse. La distance rendant les échanges entre les collaborateurs encore plus difficile que d’ordinaire, moins humaine donc, le feed back et la reconnaissance peuvent faire défaut. 

Certains sont plus sensibles au burn-out que d’autres. Le droit à la déconnexion est légitime mais dans les faits, il n'existe aucune sanction. Ainsi le “tracancier” peut très vite se retrouver sous la pression de ses employeurs, rester connecté de crainte de mal faire ou de ne pas convenir aux attentes. Pour rappel, le burn-out n’est pas lié à une surcharge de travail mais davantage au stress engendré par la sensation de ne pas être encouragé et/ou respecté par rapport au travail fourni. Des changements neurologiques s’opèrent dûs à un épuisement émotionnel qui affaiblit la connexion avec le cortex frontal et qui dans le même temps élargit l’amygdale, la partie du cerveau responsable de notre réaction d’urgence en cas de danger.

Comment éviter le burnout ?

Quelles peuvent être les conséquences sur la vie familiale et la vie sociale pendant la période de "tracances"?

Ce qui pourrait s’annoncer comme une formule positive : partager plus de temps avec la famille, plus de disponibilité pour les enfants en étant loin de son lieu de travail, n’est pas gagné d'avance. Cela peut s’avérer être tout le contraire lorsque cette nouvelle tendance provoque des conflits travail-famille, du fait par exemple, de la présence d’équipement de travail en vacances, la possibilité d’être interrompu par un membre de la famille, s'entendre reprocher d’être collé à son téléphone ou à son ordinateur alors que l’on est censé partager des vacances en famille.

Gérer à la fois sa vie familiale et professionnelle suppose que l’on établisse d’emblée des règles de conduite avec les membres de la famille afin d’éviter les tensions. Il est question d'organisation, de savoir dire non, de poser des limites sans culpabiliser. Quant à la vie sociale, on sait qu’elle a été mise à mal depuis les confinements à répétition. Attention donc à ne pas basculer dans un tout exclusivement virtuel… 

Que peut mettre en place le "tracancier" pour éviter que le professionnel n’empiète sur le personnel ?

Depuis la pandémie, les télétravailleurs ont vu leur temps de travail augmenter et leurs conditions de travail se dégrader (stress, troubles du sommeil, douleurs physiques..). Être constamment sur son lieu de travail, que ce soit chez soi ou sur une île paradisiaque, sans qu’il y ait déconnexion incitent à travailler plus que de raison au détriment de la santé. 
Afin de prendre conscience de sa situation et d’anticiper tous risques éventuels au niveau de sa charge mentale, il faut en parler et en avertir sa hiérarchie. D’où l’importance d’une communication de qualité entre les collaborateurs. Ce qui ne relève malheureusement pas toujours de la décision du “tracancier.” Tout dépend de son poste et des obligations qui en découlent. Il en va de la responsabilité de chacun de savoir dire non et de situer une limite. En tant que responsable ou dirigeant, il faut également savoir poser des limites lorsque cela s’avère nécessaire. Refuser une réunion tardive et proposer un horaire plus convenable pour la vie de famille par exemple. Il est tout aussi légitime de se déconnecter le soir et le week-end. Les emails peuvent toujours attendre la présence de chacun au bureau.

Pour en savoir plus sur le travail de Valérie Cooreman, rendez-vous sur son site : resiliencepsy.com

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