C'est moi qui t'invite

Comme chaque semaine, Carlo de Pascale et Florence Hainaut nous emmènent au resto. Carlo est chroniqueur food et conso, Florence est journaliste. Ils aiment débattre sans fin sur les restaurants avec ou sans menu, les vins avec ou sans sulfites. Bref, ils aiment manger ensemble.

TEXTE ET PHOTOS CARLO DE PASCALE ET FLORENCE HAINAUT. |

Aux confins de l’Ardenne et de la Famenne, la région du chef Eric Martin. Ce géant au sourire doux veille sur ce restaurant en parfaite symbiose avec son fils Tristan. Maison Lemonnier, à Lavaux-Saint-Anne (Rochefort), j’y étais déjà venu avec Florence il y a deux étés, mais vacances obligent, j’y suis allé sans elle cette fois, exceptionnellement en invitation presse, avec une autre convive, tout aussi charmante.

Quatre mains, voire six

On vient ici pour dîner – ou déjeuner – et beaucoup restent pour la nuit. Le restaurant propose en effet quelques très belles chambres confortables. Ne cherchez pas l’ambiance “campagne” à tous crins, la maison offre un équilibre entre vieilles pierres et sobriété moderne, sans audace architecturale. Mais l’ensemble dégage une impression de douce sérénité ; on y pose volontiers le sac des tensions du quotidien pour se laisser bercer par l’atmosphère apaisante des lieux... et les hommes!

Car Éric et Tristan sont faits du même bois, de la même pierre. Des hommes calmes et droits. Ils sont tous deux chefs de LA cuisine sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre. Nous avons pris le temps de les regarder “envoyer” les plats avec une rigueur tranquille, loin de la furie de certaines cuisines de restaurants gastronomiques. Un troisième homme complète le duo, le sommelier Frédéric Cabut, en place depuis plus d’une décennie. Il s’avérera être un élément clé du dispositif “plaisir” de la soirée. Terroir, saison... on commence à connaître ces mots par cœur, car ici, ils ont leur vrai sens.

Avec la carte, on reçoit la liste des fournisseurs. Y sont recensés notamment la boucherie de la Ferme, la fromagerie du Samson et “les champs et forêts de nos régions” (traduction : “les herbes sauvages et le gibier du coin”). Les chefs ne s’empêchent toutefois pas d’aller pêcher d’autres ingrédients un poil plus loin.

La dégustation

Nous prenons le menu à 82 € (un menu à 58 € est également proposé en soirée, et on peut aussi manger à la carte, ce qui est rare, mais qui revient). Mises en bouche bien nettes, avec notamment un nougat glacé de chèvre très réussi. La suite sera, en première entrée, un tartare de dorade au caviar osciètre et poutargue. Là, on a quitté le terroir pour le domaine du luxe mais le plat, fin, délicat, caressant, évite l’ostentatoire.

La poutargue, ce caviar de la Méditerranée, épouse ici l’osciètre et la dorade dans un joli ménage à trois. Vient le “défonce-papilles” de la soirée : le homard breton, tomate confite, bisque et polenta en chapeau. Ce plat m’a littéralement retourné. Là aussi, on n’en voudra pas au chef d’avoir quitté la Famenne ou l’Ardenne. Vient ensuite une huître, de la maison Gillardeau, flanquée d’une purée de petits pois et coppa de sanglier qui permet de retomber en douceur.

Et puis, même en plein été... du chevreuil ! Ou plutôt du brocard (la chasse est autorisée mais uniquement à l’affût). La viande est tendre, on la cuit comme un filet pur puis elle reçoit une couette de sauce de fruits rouges bien vive. On a presque une impression de transgression à manger du gibier “hors saison”. Vient ensuite le dessert ... De l’aveu du chef, il a un peu cherché le danger : une tomate mondée (sans la peau, quoi) farcie de crème et de cerises. L’originalité force un certain respect, mais le déséquilibre entre la tomate un peu ferme, la crème et les cerises rend ce dessert, certes osé, un peu bancal. Mais c’est frais, ça glisse !

La cave

Je n’ai pas encore causé des vins? On a choisi l’accord à 45€, et même si je ne me souviens pas toujours de tout ce que je bois, les harmonies (ou dissonances) restent souvent gravées dans mes papilles. Frédéric Cabut fait partie de ces sommeliers hors modes, qui n’ont qu’une seule religion : celle de l’élégance et du plaisir. L’accord est fait de vins parfois modestes, toujours équilibrés, en phase avec les plats, et un coup de cœur: un toscan IGT, un Sangiovese “cerisé” comme j’aime, de chez Collemattoni à Montalcino. Bien plus réjouissant que nombre de Brunelli, certes puissants, mais souvent lassants (j’assume).

Verdict?

Maison Lemonnier, on y reviendra, pour la force tranquille qui émane de cette très belle terre, pour l’assurance zen des chefs et du sommelier, pour la nuit la plus calme du monde (hormis le clocher le matin), pour un petit bain de sérénité.

Lemonnier, Éric & Tristan Martin, 82 rue Baronne Lemonnier, 5580 Lavaux- Ste-Anne, Tél. : 084 38 88 83. (La maison propose de nombreuses formules d’hébergement + dîner à partir de 175 € par personne.)

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